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Abdoulaye Barry, le créateur de l’alphabet Adlam à bâtons rompus avec Guinéenews

Composé de 28 lettres, l’alphabet poular Adlam a été créé en 1989 à Nzérékoré (capitale régionale de la Guinée Forestière) par les frères Abdoulaye Barry et Ibrahima Barry. Ce, dans le souci de faciliter la communication écrite mais aussi orale entre les communautés peules en particulier mais aussi les autres communautés africaines en général. Sauf que, c’est dans les années 2 000 que l’alphabet Adlam s’est beaucoup plus développé en Afrique et à travers le monde. À ce jour, Adlam est sur les Smartphones, sur google chrome, sur Windows 10 et en plus c’est la seule écriture avec l’écriture Éthiopienne qui aurait un clavier dédié par Google sur leur plateforme Androïde. Pour en savoir davantage sur l’alphabet Adlam, la rédaction locale de guineenews basée à Labé a eu  un entretien exclusif avec Abdoulaye Barry, membre fondateur de l’alphabet en question.

Né à Nzérékoré où il a grandi, Abdoulaye Barry vit depuis 2013 aux États-Unis. Bien avant, il a fait ses études primaires, secondaires et universitaires en Guinée et est diplômé en gestion. Aux États-Unis où il a poursuivi ses études, Abdoulaye Barry est détenteur d’un master en finances.

Guinéenews : comment avez-vous initié cet alphabet?

Abdoulaye Barry: en fait, Adlam, vous savez, il y a de cela 20 à 30 ans, les gens pour communiquer avec leurs parents qui sont dans d’autres villes écrivaient des lettres qu’ils remettaient à quelqu’un pour envoyer à ce parent. Et généralement, ces lettres-là étaient écrites avec le caractère arabe mais en langue poular. Et vous savez qu’il y a des sons en poular qui n’existent pas en arabe tels que le BHA, le GHA… pour écrire ces sons, les gens étaient obligés d’utiliser les caractères existants en arabe pour transcrire ces sons. Mais, comme il n’y avait pas d’uniformité ; quand vous recevez ces lettres, si vous n’êtes pas initié, vous cherchez directement quelqu’un qui est initié en la matière, qui sait bien parler le poular pour vous lire la lettre. Mon papa était l’une des personnes à Nzérékoré qui lisait les lettres et c’est à côté de lui qu’on a appris à lire et on s’est rendu compte des insuffisances de l’utilisation du caractère arabe pour écrire le poular. C’est en ce moment qu’on a demandé à notre Papa s’il y avait une écriture poular qui nous permettrait d’écrire en poular sans qu’on ait des problèmes dans la lecture. Par exemple si vous voulez écrire ‘’GHI GHAN » (sang) en poular ; y en a qui utilisaient le ‘’DJIM » arabe pour écrire ‘’DJIDJAN » ; y en a qui utilisaient le ‘’YAA »arabe pour écrire ‘’YHIYAN ». Mais quand on a demandé à notre papa il nous a dit que ça n’existait pas. Alors, mon frère Ibrahima Barry et moi, on a promis à notre papa qu’on allait créer un alphabet qui nous permettrait d’écrire notre langue sans qu’on ait des problèmes dans la lecture ou qu’on ait à deviner, à imaginer ce qui est écrit. Comme ça on pourrait lire exactement ce qui est écrit.

Guinéenews : Comment avez-vous procédé pour aboutir à un tel résultat ?

Abdoulaye Barry : Ainsi, après l’école mon frère et moi, on s’enfermait pour créer ce qui est devenu aujourd’hui Adlam. Il y a 28 lettres. Auparavant, on avait créé seulement 27 lettres dont 22 voyelles et 5 consonnes. Mais plus tard on s’est rendu compte de l’utilisation du ‘’GHA » en poular à cause de l’islam. On a ajouté cette 28e lettre. Actuellement, il y a 28 lettres pour écrire le poular. Mais il y a six autres lettres additionnelles qui permettent aussi d’écrire toutes les langues de la Guinée et toutes les langues de l’Afrique de l’Ouest. Quand on a fini, on a rendu compte à notre papa. Mais pour se rassurer, il a fait appel à un parent qui travaillait pour le gouvernement afin qu’il évalue ce qu’on a fait. Ce dernier a fait sortir mon frère de la pièce et m’a demandé d’écrire quelque chose. Ensuite, il appelle mon frère pour lui dire de lire et vice-versa avec des mots et phrases qu’il juge très difficiles à déchiffrer. Mai, moi et mon frère, on a toujours été à la hauteur de lire exactement ce que l’autre a écrit.

À la fin, il est venu dire à notre papa qu’il pense bien que ses enfants sont sur une bonne voie. Donc c’est ainsi qu’on a amélioré l’alphabet petit à petit.

Guinéenews : On sent que cet alphabet se développe petit à petit surtout chez nous en Guinée. Que faites-vous pour le vulgariser davantage ?

Abdoulaye Barry: Vous savez comme c’est un alphabet qui vient de nous et qui nous appartient, nous d’abord la communauté peule, l’engouement est naturel. Quand les gens se rendent compte que voici un alphabet qui nous permet d’écrire nos langues sans qu’on ait à emprunter, sans qu’on ait des difficultés dans la lecture, il y a naturellement un engouement pour cet alphabet. Mais en plus de cela, il y a aussi des gens qui ont appris l’alphabet et qui ont pris leur temps pour contribuer immensément à la diffusion, à la vulgarisation de cet alphabet. Ils se déplacent, ils vont en ville, ils enseignent l’alphabet et parfois aussi avec l’assistance de l’organisation qui est ‘’Windhen Dianghen’’ (écrivons et lisons) à Conakry et la branche qui est aux États-Unis, souvent, on dispatche des formateurs dans les autres villes de la Guinée et même dans les pays étrangers. C’est ainsi qu’on avait envoyé quelqu’un qui s’appelle Boubacar Barry il y a de cela 5 à 6 ans comme ça. Il a fait le tour de beaucoup de pays limitrophes ici. Il a fait le Mali, le Burkina, la Côte d’Ivoire, le Libéria, … il a enseigné partout où il est passé et ses élèves ont continué la vulgarisation. C’est comme ça que l’alphabet se vulgarise et surtout avec le développement des réseaux sociaux ça nous aide beaucoup. Avec l’introduction d’Adlam dans UNICODE (le système qui permet de supporter toutes les langues). Aujourd’hui si vous n’avez pas votre alphabet dans le système UNICODE ça veut dire que votre alphabet ne sera pas supporté dans les ordinateurs ou dans les Smartphones. Donc depuis 2016, l’alphabet est soutenu par UNICODE ; depuis fin 2017 l’alphabet est soutenu par Google ; ça nous permet de diffuser largement sur les réseaux sociaux. Il y a beaucoup de groupes de formation sur Whattshap, sur Facebook, sur télégramme, … c’est ainsi qu’on vulgarise l’alphabet.

Guinéenews : néanmoins il y a toujours des soucis, parce que contrairement à l’alphabet N’KO qui est enseigné à l’université de Kankan, Adlam n’est toujours pas enseigné dans les écoles guinéennes. Avez-vous pensé à vulgariser cet alphabet dans les institutions en dehors des écoles coraniques ?

Abdoulaye Barry : Absolument, d’abord pour vous corriger, ce n’est pas seulement dans les centres d’apprentissages du Coran ou bien dans les écoles coraniques qu’on apprend Adlam. Il y a des centres spécialisés pour ça où les gens apprennent Adlam.

Guinéenews : Pouvez-vous nous citer des exemples en Guinée ou ailleurs ?

Abdoulaye Barry : en Guinée et partout dans le monde. Au Foutah ici, les écoles coraniques jouent un grand rôle dans la vulgarisation d’Adlam. Mais ailleurs, il y a des centres par exemple dans les écoles où les gens se retrouvent ou bien même dans les concessions, les gens se retrouvent pour apprendre Adlam. Du côté de Conakry, à Wanidara, il y a un centre de formation là-bas. Là où moi, je vis aux États-Unis, il y a un centre de formation où moi-même je forme des gens à l’université qui est dans ma ville dans un collège communautaire de Portland. Et nous sommes même en train de négocier avec la grande université là où je suis pour qu’on enseigne Adlam. Et même à Harvard qui est l’une des plus grandes universités du monde, le caractère Adlam est aussi utilisé pour enseigner le poular. C’est pour vous dire que ce n’est pas seulement ici en Guinée. Au Nigeria, ça s’enseigne, au Soudan, au Cameroun, en Gambie, …

Guineenews : Mais, on est d’accord que des cours d’Adlam ne sont pour l’instant pas dispensés dans les écoles guinéennes ?

Abdoulaye Barry : en Guinée, on a commencé à discuter avec certaines universités intéressées. Par exemple à IUHEG (Institut université des hautes études de Guinée). L’année dernière quand on est venu dans le cadre de Conakry capitale mondiale du livre, vous savez à cette occasion d’ailleurs, l’université Harvard en collaboration avec Kofi Annan avait déplacé une conférence internationale sur les langues africaines qui se tient chaque année à Harvard. Cette conférence avait été déplacée ici. Et à cette occasion, nous avons profité pour discuter avec les directeurs de certaines universités pour voir comment on peut mettre en œuvre un programme d’enseignement dans les universités. C’est en cours de réflexion.

Guinéenews : donc ça coince quelque part?

Abdoulaye Barry : Ça ne coince absolument pas. Je peux dire que le besoin est absolument là. C’est une question de temps parce que nous nous sommes aux États-Unis et il est très difficile souvent de gérer des affaires entre ici et là-bas. C’est pour cela. Je peux dire le fait que ça n’a pas commencé à s’enseigner dans les universités. Ça c’est de notre faute. Sinon, la volonté est là, la disponibilité est là et le directeur de l’université IUHEG a déjà fait l’offre, il est intéressé. Il suffit juste pour nous de faire le pas vers lui.

Guinéenews : Dernière question, dites-nous c’est quoi la particularité d’Adlam par rapport aux autres alphabets ?

Abdoulaye Barry: C’est un alphabet africain, très simple. Comme je l’ai dit, il y a 28 lettres. Si vous voulez, vous les utiliser en poular; ou bien parmi les 34 lettres, vous pouvez choisir la combinaison qui colle à votre langue. Donc, c’est ça la particularité d’Adlam. Adlam n’est pas seulement pour le poular, c’est pour le Sarakolé, le Wolof, y en a même au Nigeria qui ont commencé à l’utiliser pour écrire le Haoussa. Une autre particularité, ce que nous sommes aussi sur les Smartphones, sur google chrome, sur les ordinateurs Windows éventuellement, sur les plateformes IES pour Apple.

L’autre particularité d’Adlam, c’est aussi que c’est la seule écriture avec l’écriture Éthiopienne qui a un clavier dédié par Google sur leur plateforme Androïde. Il n’y a aucune autre écriture africaine pour le moment qui a son clavier fait par Google. Donc, c’est pour vous montrer que ces compagnies de technologies prennent au sérieux ces écritures parce qu’ils voient le potentiel.

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