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Asmaou Diallo, pdte/AVIPA : « il a fallu du sang des innocents tués pour qu’on ait un Etat démocratique »

En prélude au dixième anniversaire des tueries du 28 septembre 2009, Guineenews a eu une interview avec la présidente de l’AVIPA (association des victimes, parents et amis du 28 septembre). Asmaou Diallo a profité de l’occasion pour partager les peines et préoccupations mais aussi exprimer les attentes et les déceptions de son association.

Guinéenews : il y a dix ans que les événements du 28 septembre 2009 ont eu lieu. Quels sont les sentiments qui vous animent dans le cadre de la commémoration ?

Asmaou Diallo : merci beaucoup… Dix ans je pourrais dire que ce n’est pas dix jours et non plus dix heures. C’est une longue attente. Et quand je dis que c’est une longue attente, il faut le croire parce que ceux d’entre nous qui ont été blessés, violentés, violés… même pour ceux qui ont perdu des fils, des parents, des conjoints des frères et sœurs…, ça fait très mal d’attendre aussi longtemps. Mais si au moins à l’occasion de ces dix ans le procès était ouvert, ça aurait valu la peine d’attendre. Mais si cela n’est pas, c’est vraiment difficile.

Guinéenews : vous l’avez dit, c’est dix ans d’attente, de combat pour obtenir justice pour les victimes. Qu’est-ce qu’on peut retenir aujourd’hui en termes de bilan ? Notamment ce qui est fait pour qu’on aille vers cette justice ?

Asmaou Diallo : en termes de bilan, je peux dire qu’il y a eu beaucoup de choses, vraiment des avancées pour qu’on aille à ce niveau. Il y a eu des enquêtes, des inculpations, il y a eu la clôture de l’instruction et en définitive la cour suprême a statué pour dire qu’on peut aller maintenant au procès. Avant cela, il y eu la mise en place d’un comité de pilotage par le ministre Cheick Sako (ex-ministre de la Justice ndlr). Un comité qui était censé travailler une fois par semaine. Mais malheureusement cela n’a pas été le cas. Ils ont pu tenir quelques réunions avant qu’il ne parte. Maintenant que le nouveau ministre est arrivé, il a promis de continuer là où son prédécesseur a laissé travail. Effectivement il a fait une annonce sur l’endroit où va se tenir le procès. Il a annoncé les fonds. Evidemment le montant demandé par le ministère de la Justice n’a pas été obtenu malheureusement. Mais ce qui a été accordé, le ministre Fofana a annoncé que les fonds sont disponibles.

Guinéenews : ce sont des efforts, ce sont des actes posés. Mais en dépit de tout cela, le procès annoncé plusieurs fois n’a pas eu lieu ?

Asmaou Diallo : justement à ce niveau, on s’est toujours posé la question de savoir où le bât blesse ? Parce qu’au temps de Me Sako, chaque année on avait l’espoir que c’était la dernière commémoration avant le procès.

Malheureusement, ça n’a pas été le cas. Evidemment, je ne peux l’en accuser parce que lui aussi il rend compte, il se réfère. Il pose des questions aux hauts lieux et quand je dis les hauts lieux, c’est chez le président de la République. Si le président de la République lui avait donné la chance de le faire (organiser le procès ndlr) il l’aurait fait avant de quitter. Malheureusement, cela ne s’est pas passé comme ça. Aujourd’hui, nous aimerions que cette volonté politique que tout le monde réclame soit réelle. Il ne faudrait pas que…bon il y a des actes posés, d’accord. Mais il y a un blocus quelque part. Si on a la date aujourd’hui j’en suis sûre, on va immédiatement au procès. Mais la date n’est pas connue, les magistrats ne sont pas désignés. Et si tout cela n’est pas fait, ce qui veut dire qu’il y a du pain sur la planche. C’est pourquoi je disais la dernière fois qu’il y a des avancées mais c’est comme si rien n’était fait, parce que l’attente reste. Une grande attente parce qu’on ne sait pas encore pour combien de temps elle va durer. Ils ne nous disent même pas d’attendre. Ils vont tout simplement se taire jusqu’au jour qu’ils vont vouloir le faire… Mais il y a un blocus quelque part.  Il y a des avancées mais c’est comme si rien n’était et c’est l’Etat qui doit faire le nécessaire pour qu’on puisse aller au procès.

Guinéenews : justement, l’un des aspects sur lesquels l’Etat est attendu, c’est sur le cas des anciens responsables de la junte d’alors, Capitaine Dadis et le ministre de la défense, général Konaté. Que pouvez-vous dire concrètement par rapport à leurs cas ?

Asmaou Diallo : pour ce qui est de Dadis, nous savons qu’il a été inculpé parce qu’il y a eu une commission rogatoire qui est allée l’interroger.  Et c’est fini par l’inculpation. Mais Konaté n’a pas été inculpé. C’est là qu’il y a un peu de hic. Mais on estime qu’au moment du procès, il sera peut-être entendu en tant que témoin. On ne sait pas parce que ça dépend du juge. Une fois on avait demandé au juge d’écouter tous ceux qui étaient au CNDD (conseil national de la démocratie et le développement). Qu’ils soient militaires ou civils. Pour qu’on puisse connaître le niveau de participation de chacun au niveau du massacre du 28 septembre. Mais qu’à cela ne tienne, ceux qui sont inculpés aujourd’hui, si le procès se tenait, on saurait peut-être qui y a participé et qui ne l’a pas fait.

Guinéenews : l’autre point d’interrogation concerne la présence ou pas du capitaine Dadis au procès. Est-ce que vous avez une idée sur ce qui est envisagé le concernant ?

Asmaou Diallo : ce que je peux vous dire, c’est notre vouloir en tant que victime. On a demandé que le procès se tienne en Guinée, contrairement à d’autres qui voulaient qu’il ait lieu à la CPI (cour pénale internationale). Mais vu les coûts, on a fait une mission à la Haye. On a suivi un peu le procès de Jean-Pierre Bemba (homme politique de la RDC, ancien détenu ndlr). Tu peux compter du bout des doigts les victimes qui ont pu effectuer le déplacement pour assister au procès. Donc ça ne peut pas permettre aux victimes de comprendre exactement si leurs attentes sont prises en compte. Mais si c’est en Guinée, c’est libre. Les gens sont là, ils peuvent y assister pour écouter, comprendre et dire peut-être oui c’est ce que nous avons demandé.

Guinéenews : cela veut dire que vos attentes, c’est d’accord le fait de voir les responsables de ces actes jugés ; mais c’est aussi le fait de voir les victimes et leurs parents vivre cette scène ?

Asmaou Diallo : exactement.

Guinéenews : et cela vous procure quoi ?

Asmaou Diallo : …Parce qu’il faudrait que les Guinéens puissent comprendre jusqu’où les militaires guinéens sont allés… Ça c’est un. Deuxièmement, ça peut permettre aux Guinéens de comprendre qu’il ne faut plus jamais faire ça à son prochain ; parce que c’est une façon de faire comprendre à nos frères et sœurs guinéens qu’il faut s’aimer et se donner les mains.

Guinéenews : et vous supposez que ça peut aider les victimes aussi… ?

Asmaou Diallo : … Pour nous les victimes, ça peut nous soulager parce qu’on peut être là et suivre. C‘est une forme de réparation, la vérité. C’est une forme de réparation, la justice. Et ça peut aider tout le peuple de Guinée parce qu’on peut savoir que l’impunité on ne peut pas continuer.

Guinéenews : donc aussi c’est symbolique ?

Asmaou Diallo : voilà ! C’est donc très important pour nous et pour le peuple de Guinée.

Guinéenews : en attendant, les victimes, leurs parents et proches continuent d’attendre. Comment cette longue attente se passe au quotidien ?

Asmaou Diallo : à vrai dire c’est compliqué. Seulement je peux dire que j’apprécie beaucoup les victimes du 28 septembre. C’est des personnes dignes parce qu’elles ne se mettent jamais dans les rues pour quémander. Elles sont là au sein de l’AVIPA. S’il y a des besoins, on se bat ensemble, on se donne des idées pour pouvoir avancer. C’est parce qu’on est soudé qu’on est arrivé où on est. Et je peux vous dire que c’est des héros… C’est là que je tiens à ce que le gouvernement guinéen reconnaisse ces victimes. Il a fallu ce sacrifice, du sang qui est versé, des innocents tués pour qu’on ait un Etat démocratique. Il ne faut pas que le gouvernement démocratiquement installé oublie cela.

Guinéenews : ça c’est un message à l’endroit du président de la République ?

Asmaou Diallo : c’est un message que j’ai toujours véhiculé à l’endroit du président de la République. Mais je crois que ma voix n’est toujours pas entendue. C’est très important pour nous si Alpha Condé pouvait tendre la main aux victimes du 28 septembre parce que c’est après ce 28 septembre qu’il est venu au pouvoir.

Guinéenews : en attendant que cela arrive, vous avez fait allusion aux efforts faits au quotidien pour vous soutenir, vous entraider pour ne pas laisser des victimes abandonnées à elles-mêmes, ou aller dans la rue faire le mendiant. Qu’est-ce que vous faites de concret dans ce sens ? 

Asmaou Diallo : Pour cela, nous sommes avec les bonnes volontés, notamment les organisations de droits de l’homme en Guinée et à l’international que nous remercions beaucoup. C’est avec l’appui de l’international que nous réunissons les groupements des femmes qui mènent des activités génératrices de revenus comme la saponification et la teinture. Avec ça, elles peuvent faire leurs productions, les revendre et récupérer le fruit pour elles-mêmes. Pas pour l’association ou une autre personne. Cela revient à celles qui ont mené l’activité. Toujours avec les aides qui nous parviennent de l’international, nous les (les femmes ndlr) accompagnons au niveau médical, au niveau psychologique. Tout à l’heure vous avez suivi ce que nous avons fait avec la musicothérapie. Tout cela, c’est pour les aider à se surmonter, à savoir qu’elles sont des femmes braves et des femmes d’honneurs. Pas des femmes abandonnées. Ça leur donne encore plus de courage pour qu’elles puissent avancer. Nous remercions ces partenaires qui continuent à soutenir ces pauvres dames qui sont laissées pour compte avec parfois des enfants à élever. Je le disais à la formation des journalistes pour la couverture médiatique du procès. Nous les remercions d’avance pour la suite. J’espère surtout que le procès arrive maintenant et qu’il y ait réparation pour les victimes.

Guinéenews : parlant de la formation des journalistes, c’est une façon de préparer le procès. Est-ce qu’il y a une préparation spéciale pour les victimes aussi ?

Asmaou Diallo : oui il faut une préparation à ce niveau aussi et nous écoutons nos avocats qui savent plus que nous comment organiser tout cela.

Guinéenews : vous avez fait allusion aux fonds annoncés par le gouvernement en précisant qu’ils ne suffiraient pas pour couvrir tout le budget. Ça veut dire que l’apport des partenaires au développement est attendu. Vous travaillez avec certains parmi eux. Est-ce que vous sentez leur disponibilité à apporter une quelconque aide pour combler ce gap ?

Asmaou Diallo : oui par exemple quand je prends le cas de l’ambassade des Etats-Unis et de l’Union Européenne, les fonds sont connus. Au niveau de l’Union Européenne, une annonce avait été faite pour indiquer le montant. Pour ce qui est des Américains, ils ont été les premiers à annoncer le montant qui, évidemment, a été touché un peu avec le comité de pilotage. Mais ça reste encore. Donc si on arrive à rapidement fixer la date et à ouvrir le procès, on va pouvoir utiliser ces fonds. Mais si on reste sans donner la date, on traine les pieds, ils peuvent orienter les fonds ailleurs parce que ce n’est pas seulement la Guinée qui en a besoin. Et c’est ce que nous ne voulons pas. C’est pourquoi nous poussons pour que l’Etat accepte d’aller rapidement à ce procès.

Guinéenews : un dernier mot peut-être ?

Asmaou Diallo : toujours c’est insister sur le fait que l’Etat doit faire des efforts, un grand sacrifice s’il faut. Il faut que les autorités comprennent que nous attendons cela de l’Etat qui est comme un père de famille. Sans oublier que les victimes dont il est question ne sont pas venues seules au stade. Elles ont été appelées par des partis politiques.  Même si ces partis politiques ne pensent pas à ces victimes aujourd’hui, sauf à titre individuel peut-être pour leurs militants. Mais au niveau d’AVIPA, on ne reçoit aucune aide pour ces victimes même quand elles sont malades…

Guinéenews : et pourtant il y a certains partis politiques qui ont consacré une partie de l’argent à eux donnée par les autorités de la transition. Ils ont annoncé avoir mis une partie des fonds reçus à la disposition des victimes afin de couvrir certains de leurs frais médicaux. Vous n’aviez pas été associés à cela ?

Asmaou Diallo : non ! L’AVIPA n’a jamais été associée à ces choses. Seulement il y a eu la fondation CAIRE (initiative de l’opposant Cellou Dalein Diallo ndlr) qui nous avait accompagnés. On était en train de faire des collectes pour les enfants des victimes. Il y avait quinze enfants qui n’avaient pas eu leurs primes pour aller à l’école. Le centre CAIRE a débloqué 6 millions pour ces enfants. Aussi, quelques femmes venaient… Parce qu’ils nous avaient dit d’envoyer des femmes qui ont besoin d’aller à l’hôpital, certaines sont parties mais elles étaient en petit nombre et elles n’avaient trouvé satisfaction. Elles ont arrêté de partir. Ça se limite là.

Guinéenews : donc vous voulez dire que ce qui est fait n’était pas suffisant… ?

Asmaou Diallo : je peux dire que ce n’était pas… Nous ce qu’on était en train de faire là, dans les années 2011, 2012, 2013, on avait un médecin qui examinait les victimes avant de les envoyer au centre mère et enfant. Ça, c’était avec un projet du Haut-commissariat des nations unis, le projet « torture » qui avait financé… Donc je peux dire pour ce qui est des partis politiques, qu’il n’y a pas assez de soutien aux victimes du 28 septembre.

Entretien réalisé par Thierno Souleymane Diallo

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