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Célébration du 2 octobre : témoignages d’Aliou Barry, chroniqueur au journal le Lynx (entretien)

«La particularité de Sékou Touré à l’égard des intellectuels, c’est son souci de se maintenir au pouvoir, de ne pas avoir à répondre de ses crimes. Il n’a jamais fait bon ménage avec les intellectuels. Parce que les étudiants de la FEANF (La Fédération des étudiants d’Afrique noire en France) à l’époque ne lui faisaient pas de cadeau.»

Aliou Barry, né en 1937 à Dabola, est un des témoins de l’indépendance guinéenne acquise en 1958. Lors du référendum de la même année, il a été copté par le président du bureau de vote de l’école régionale de Dabola à l’époque pour être l’accesseur.

Cet ingénieur de travaux publics n’a pas voté à cause de son jugement supplétif dans lequel il serait né en 1941.  Aliou Barry, aujourd’hui à la retraite, a occupé plusieurs fonctions dont celle de directeur de projet de prévisions dans l’ensemble du Bassin du Niger à Niamey où il a passé huit ans. Militant de l’UNR, en 2002, il fut député à l’Assemblée nationale au poste de président de la Commission de l’Environnement et de l’Agriculture. Entretien !

Guinéenews : avant le vote de 1958, il y a eu la loi cadre. Parlez-nous de cette loi ?

Aliou Barry : la loi cadre est une réforme de la politique colonio-coloniale avec tous les ennuis que le pouvoir avait eu. Avec l’indépendance du Maroc, de la Tunisie, il fallait lâcher du lest en Afrique noire. C’est ainsi qu’Houphouêt-Boigny, le ministre de la France d’Outre-mer a eu l’initiative d’une réforme qu’on a appelée la loi cadre ou la loi de semi autonomie à savoir l’élection du Conseil du gouvernement local et d’assemblées régionales locales.

C’est ça la loi cadre. Elle a été adoptée en juin 1956. Les élections pour la mise en place des institutions ont eu lieu en mars 1957. C’est là que Sékou Touré a raflé la quasi-totalité des sièges 56/60. Et naturellement, il est devenu Vice-président du Conseil du gouvernement. Toute suite, il a révélé son programme. Il a supprimé la chefferie coutumière. Et il a créé l’Ecole normale de Kindia. C’est donc Sékou Touré qui était président du Conseil du gouvernement au moment de l’arrivée de De Gaule à la tête de l’Etat français.

Guinéenews : la loi cadre a-t-elle été le déclic pour l’indépendance de la Guinée?

Aliou Barry : oui, on peut le dire bien que ce ne soit pas évident. Parce que de toute façon, ce sont les conseils du gouvernement qui étaient en place qui ont conduit le territoire à l’indépendance.

Guinéenews : le 25 août, une date historique, il y a eu cette rencontre entre De Gaule et Sékou Touré. Quel souvenir avez-vous de cette date?

Aliou Barry : quand De Gaule est venu au pouvoir, il a tout de suite eu l’idée de faire du neuf. La loi cadre était déjà critiquée comme insuffisante. Elle ne répondait pas entièrement aux aspirations à la liberté des territoires. Donc, lui, il a eu l’idée de créer une communauté. Son projet de constitution prévoyait la création d’une communauté. Les colonies étaient devenues des territoires, des Etats autonomes. Ce projet de constitution ne tenait pas en compte des revendications de ceux qui sont plus à gauche parce que la loi cadre était telle qu’elle brisait la dynamique de regroupement des territoires qu’étaient l’AOF et l’AEF. Dans la loi cadre, le grand Conseil disparaissait. Il n’y avait plus un organe de coordination de ces territoires. C’est pourquoi, les députés qui avaient adopté la loi cadre et qui se retrouvaient dans le grand Conseil ont adopté une résolution demandant le maintien des grands conseils, c’est-à-dire des regroupements AOF et ailleurs. Houphouët Boigny était contre cette idée. C’est lui qui a fait éclater les regroupements AOF et AEF. (…) L’éclatement de l’unité africaine par de là.  Le projet de constitution n’a pas tenu compte des doléances des Africains, des territoires. L’éclatement de l’AOF à l’époque, sera lourd de conséquences. Les institutions fédérales tel que le syndicat ne dépendait plus des coordinations parce que les territoires n’avaient plus de liens entre eux.

Guinéenews : le 2 octobre 1958, la Guinée a voté ‘’NON’’  pour accéder à son indépendance. Parlez-nous de cette date historique ?

Aliou Barry : Déjà sous la loi cadre, il y avait des pouvoirs en place. Il y a des revendications de la jeunesse surtout les étudiants qui réclamaient l’indépendance immédiate. Mais, le gouvernement en place était contre tel que Sékou Touré même qui avait adopté une attitude ambiguë. Il ne voulait pas de l’indépendance. Quand l’UJEG a tenu son congrès en 1957 à Conakry, une délégation est allée rencontrer Sékou Touré pour lui demander de se définir en choisissant l’indépendance immédiate. Il avait réfuté parce que nous ne savions pas fabriquer une aiguille.

Finalement, les circonstances ont fait que quand De Gaule a décidé de sortir pour battre campagne pour son projet de constitution, il ne devait passer que dans les capitales fédérales. Mais les gens l’ont convaincu qu’il fallait qu’il passe par Conakry pour rencontrer Sékou Touré qui multipliait l’ambigüité. Après Brazzaville et Abidjan, il est arrivé à Conakry en fin de journée. C’est là que tout a commencé au palais du 28 août. Il y a des circonstances dont les Guinéens ne tiennent pas compte. De Gaule a été très impressionné par la réception. Le matin, il avait dit qu’il allait continuer à Dakar avec Sékou Touré. Mais l’incident, c’est le discours de Sékou Touré. Quand il a pris la parole, il a prononcé ce discours que l’on connait : «il n’y a pas de dignité sans liberté. Nous préférons la liberté dans la pauvreté à l’opulence dans l’esclavage ».

Mais De Gaule a eu une réaction par le discours que l’on sait : « l’indépendance est à la disposition de la Guinée [mais] la France en tirera les conséquences ». Le discours de Sékou Touré ne réclamait pas en fait l’indépendance. Mais il y avait un état d’esprit. Avant l’arrivée de De Gaule à Conakry, Jacques Focard (secrétaire général de l’Élysée aux affaires africaines et malgaches de 1960 à 1974, ndlr) a disparu pour appeler Paris. On lui a dit qu’il y a un attentat qui se préparait contre l’avion de De Gaule à Alger. Alors, c’est dans cet état d’esprit, il apprend que l’armée française prépare un attentat contre lui, le héros de la libération. C’est dans cet esprit qu’il va à l’Assemblée territoriale de la Guinée. On lui parle d’indépendance, il réagit en fonction de cela. Personne ne savait ce qu’il sait. Voilà donc, nous avons accédé à l’indépendance.

Sékou Touré expliquera plus tard que nous n’avons pas demandé l’indépendance mais le droit à l’indépendance. Pourquoi, on veut nous forcer à sortir. Il l’a dit dans un discours juste avant le référendum.

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Guinéenews : qu’est-ce qui s’est passé entre le 25 août et le 2 octobre 1958 ?

Aliou Barry : le discours de De Daule dit que la France ne fera pas obstacle à l’indépendance de la Guinée mais qu’il y a des conséquences. Le développement entre le 25 août et le 28 septembre est extrêmement important parce que c’est sur ça que les gens pour l’indépendance immédiate vont tabler. Les étudiants vont battre campagne encore plus intensivement pour l’indépendance immédiate. (…) Mais c’est le BAG, le premier parti qui s’est prononcé pour l’indépendance immédiate lors d’un congrès à Mamou. Mais quand De Gaule et Sékou Touré ont eu ce malentendu, à la veille du référendum, il y a des démarches des autorités coloniales, un général français est venu pour rencontrer Barry Diawadou, et de lui demander de pencher en faveur du OUI et qu’on mettait à sa disposition des fonds qui étaient envoyés à la banque ici  pour la commercialisation des produits de rente. C’étaient des prix accordés aux gens pour les produits de rente. C’est comme ça que Diawadou a été contacté et il a refusé. Il a préféré l’indépendance. Il a dit que c’était une occasion unique pour la Guinée d’éviter un bain de sang pour l’indépendance. Il ne peut pas refuser cette chance à la Guinée. Donc, le 14 septembre, le congrès du PDG s’est prononcé aussi pour l’indépendance immédiate le jour même où débutait la campagne pour le référendum.

Guinéenews : Sékou Touré deviendra ensuite le premier président de la Guinée indépendante avec ce fameux ‘’NON’’

Aliou Barry : le conseil du gouvernement était la seule autorité en place qui cordonnait tout. C’est le gouvernement-là qui a assuré la transition. Il conduit le référendum et proclame l’indépendance et après, c’est ce gouvernement qui a été maintenu. On a copté Diawadou, Barry III etc. Mais, c’est une cooptation parce que le pouvoir, c’était le RDA.

Guinéenews : Sékou Touré, un leader syndical de moins de 40 ans prend le pouvoir.  Mais au fil du temps, il impose une politique dictatoriale. Selon vous, qu’est-ce qui a influencé le personnage ?

Aliou Barry : je pense que contrairement à beaucoup de gens quand De Gaule a dit avec le chantage à l’indépendance, Sékou Touré qui venait de Paris est arrivé à Dakar et a dit que les conséquences ne seront pas qu’africaines. Il y a aussi des conséquences pour la métropole. C’était une réponse d’un simple député au Chef de l’Etat français.  L’indépendance a des conséquences, a répondu De Gaule à Sékou Touré. Mais nous n’avons pas compris, c’est quoi les conséquences. A partir du moment où la Guinée a choisi l’indépendance, il n’y a plus aucune convention ou aucune obligation de la France d’aider la Guinée. Elle n’avait pas à laisser ses fonctionnaires, à laisser sa monnaie. Les rapports entre la Guinée et la France étaient liés au droit international. Il faut comprendre donc la position de l’Etat français à l’époque. Vous voyez comment la Guinée s’est empêtrée au début. Les importations de la Guinée étaient bloquées. On chargeait dans les ports français et les produits guinéens n’y étaient pas débarqués aussi. Ils ont envoyé leur argent le CFA à l’extérieur.  Il n’y avait plus de liquidités pour la vie économique. Ce sont ces conséquences-là auxquelles  pensait généralement De Gaule mais auxquelles, nous on n’a jamais pensé. On n’avait jamais pensé que le système économique colonial allait réagir contre notre choix.   C’est dans cette situation que Sékou Touré a créé toutes ces entreprises d’Etat qu’on a appelées le socialisme. C’étaient des organismes créés pour avoir des commerces avec les pays de l’Est. L’économie était tombée. Pour se maintenir au pouvoir, Sékou Touré a multiplié les complots. Voilà, l’origine des complots. Tout cela est très clair. C’était pour expliquer ses échecs qu’il a inventé l’idée de complot de la France.  Mais on n’a jamais vu ces Guinéens qui faisaient partie de ces complots. Les services secrets français opéraient en Guinée comme partout ailleurs.  Mais qu’est-ce qu’ils ont fait en Guinée.

Guinéenews : qu’est-ce qui vous a plus marqué dans la révolution de Sékou Touré qui a duré de 1958 à 1984 ?

Aliou Barry : ce qui m’a le plus marqué, c’est le discours du 26 octobre 1958. Là, Sékou Touré a dit quelque chose de très important. On était déjà reconnu par plusieurs pays mais pas par la France. Sékou Touré a appelé à la vigilance. Il fallait que les Guinéens se surveillent les uns des autres et qu’ils rapportent tout ce qui paraîtrait suspect, il prendrait les mesures nécessaires.  On est resté dans cette période de suspicion. Les actes de Sékou Touré sur le plan économique, c’est d’avoir le socialisme pour éviter de faire un choix politique. La voie de développement non capitaliste, on n’a vu ça nulle part. Ou on est socialiste ou on est capitaliste. Le manque de choix clair de Sékou Touré sur le plan économique, nous sommes restés dans cette situation. Mais il a continué à exporter des matières premières. C’est-à-dire l’économie coloniale a continué.

Le complot du 22 novembre 1970, si vous regardez de près tous les témoins, y compris les propos tenus par Sékou Touré, ce sont Sékou Touré et les Portugais qui ont monté ensemble l’agression. C’est clair et net, il n’y a pas de doute là-dessus. Sékou Touré a monté l’agression pour décapiter l’armée après le coup de Modibo Kéita (du Mali, ndlr). Tout cela, c’est en réaction avec ce qui s’est passé à Bamako. L’agression, c’est monté aussi contre Amilcar Cabral en 1973. Tout cela se tient.

Guinéenews : beaucoup d’intellectuels ont perdu leurs vies au camp Boiro. Selon vous, quel a été le rôle du président Sékou Touré dans ce camp d’horreur qui n’a épargné aucune ethnie ?

Aliou Barry : la particularité de Sékou Touré à l’égard des intellectuels, c’est son souci de se maintenir au pouvoir, de ne pas avoir à répondre de ces crimes. Il n’a jamais fait bon ménage avec les intellectuels. Parce que les étudiants de la FEANF à l’époque ne lui faisaient pas de cadeau. Les fonctionnaires sont venus tardivement dans le PDG. Lui-même n’a pas un niveau intellectuel avancé. Il a minimisé l’école au profit de la fidélité politique.

Entretien réalisé par Amadou Kendessa Diallo pour Guineenews

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