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Contribution : Test de résistance de l’Etat en cas de crise démocratique majeure

Par Youssouf Sylla, analyste-juriste à Conakry !

Les tests de résistance aux crises sont bien connus dans les domaines technique et financier. Dans ce dernier cas, après la crise financière mondiale de 2008, les autorités en charge de la régulation financière ont mis au point des tests de résistance pour juger de la solidité des banques à faire face à la  survenance d’une crise financière inédite. Ces tests qui sont réalisés selon des critères d’évaluation précis donnent des résultats qui ont permis aux autorités de régulation d’introduire des améliorations pour consolider la résistance des banques aux crises ravageuses .

La présente contribution tente d’étendre cette expérience au secteur de la démocratie. Un constat général sur les pratiques des États permet de conclure qu’aucun État, grand ou petit, avec ou non une longue tradition démocratique, n’est à l’abri de chocs susceptibles de mettre à dur épreuve sa démocratie. L’envahissement du temple de la démocratie américaine, le Capitole, par des groupes surexcités, exigeants par la force la victoire de leur candidat,  Donald Trump face à Joe Bidendéclaré vainqueur, est la preuve que même première puissance démocratique du monde peut se retrouver au cœur d’une crise électorale majeure.

Les États n’ont pas la même capacité de résistance à une crise qui met en danger les principes démocratiques inscrits dans leurs constitutions respectives. Les uns survivent et sortent plus forts des crises, tandis que les autres, avec une faible capacité de résistance, sombrent dans la crise avec des difficultés de relèvement et ces cas sont légion en Afrique.

Le but de ce Test de résistance de l’État aux différentes crises majeures susceptibles de le mettre en danger est avant tout de permettre à chaque Etat d’évaluer objectivement la solidité de ses institutions démocratiques face aux crises. Ensuite, les résultats du Test permettent d’améliorer le cas échéant la solidité de l’État à travers sa capacité de conformer sa pratique aux critères démocratiques en temps de crise.

Par le biais des événements qu’ils traversent, les États formellement dotés de constitutions subissent des tests de résistance aux crises mettant en danger la démocratie sans en être pleinement conscients. Il se trouve souvent que les acteurs politiques et institutionnels sont si absorbés par une crise politique, économique, sociale ou internationale, qu’ils ont du mal à prendre du recul pour évaluer leurs actes et faits à la lumière des critères démocratiques universellement admis.

Plus un Etat est proche de ces critères en temps de crise susceptible de mettre la démocratie en danger, plus sa capacité de résistance est jugée forte. Inversement, plus un État est éloigné de ces critères en temps de crise, moins sa capacité de résistance sera jugée forte. Entre les deux extrêmes, «fort et faible », il y a des situations intermédiaires ou la confrontation de la pratique étatique aux critères démocratiques en temps de crise seront jugées moins satisfaisantes.

Quels sont alors les critères à mettre en avant pour juger de la capacité de résistance d’un État eden cas de survanance d’une crise mettant en danger ses principes démocratiques. une résister aux crises. Il convient au préalable de garder à l’esprit que ce test s’applique à un État déjà doté d’un constitution qualifiée de démocratique au regard des principes qu’elle contient : un pouvoir exécutif élu, une assemblée nationale élue, une justice Indépendante et une presse libre. Le fait que ces principes soient inscrits dans une constitution n’est pas une garantie pour sa résistance aux crises.  Ce qui permet d’évaluer factuellement cette résistance, c’est sa pratique face à une crise grave quelque soit sa nature : économique,  politique, sociale ou internationale. L’enjeu serait de vérifier si les décisions prises par un État dit démocratique en temps de crise confortent ou mettent en danger la démocratie.

Application du Test

En prenant l’exemple d’ « une crise électorale » ou les parties en compétition se disputent âprement la victoire, on peutcraindre avec raison d’une part, des atteintes à l’indépendance de la justice si celle-ci est instrumentalisée par une des parties en compétition, et d’autre part, le musellement de la presse. Si malgré l’ampleur de la dispute électorale, le pouvoir exécutif dans sa pratique du pouvoir au cours de la crise s’interdit en conformité avec les principes constitutionnels de l’indépendance de la justice et de la liberté de la presse, toute action directe ou indirecte d’interférence dans le fonctionnement de la justice et de la presse, on peut considérer que sur la crise électorale en question, ce pays passe avec satisfaction son test de résistance à une crise qui met en danger sa démocratie.

Outre la « crise électorale », il est possible de prendre de nombreux autres exemples sur les quels on associera des critères précis, spécifiques et adaptés d’évaluation au test de résistance de l’Etat. Pour la crise électorale, les critères d’évaluation sont une justice et des médias indépendants.

Pour une autre crise comme la « menace terroriste résultant de l’islam radical», les critères associés d’évaluation au test de résistance aux menaces qui guettent la démocratie peuvent être la non-discrimination ( amalgame et tendance à prendre tous les musulmans pour de potentiels terroristes et à dresser à leur endroit des obstacles invisibles en ce qui concerne par exemple l’accès à certains emplois et à certains autres privilèges, en principe réservés à tous ceux qui en remplissent les conditions) dans la riposte étatique, le droit à un procès équitable dans un délai raisonnable ( les personnes accusées doivent avoir des avocats et être jugées sans retard injustifié) et l’interdiction de détention dans des lieux inaccessibles ou gardés secrets. Un autre critère à prendre en considération dans la lutte contre le terrorisme sera la conformité des lois prises par un État menacé aux principales garanties en matièredu respect des droits humains. Les États peuvent certes prendre des mesures spécifiques de lutte, mais elles ne doivent pas, sans justification légitime, mettre en danger les garanties fondamentales en matières protection de ces humains.

On peut aussi prendre la crise due à la « libre manifestation dans un pays ». Ici les critères d’évaluation peuvent être les raisons du refus administratif de la liberté de manifester, les pratiques des cours et tribunaux dans ce type de contentieux et la gestion quotidienne de la manifestation par les forces de l’ordre et de sécurité. Le renseignement de ces critères permet d’évaluer la capacité de résistance d’un État aux crises qui affectent gravement ses principes démocratiques.

Loin de prétendre à l’exhaustivité, le dernier exemple à prendre est la capacité de résistance d’un État à une crise sanitaire d’ampleur mondiale due à la Covid19 qui est susceptible d’impacter négativement certains droits fondamentaux de ses citoyens. La gestion étatique d’une telle crise peut être l’occasion de mesurer la conformité de sespratiques aux critères retenus par exemple en matière des droits de l’homme. On peut identifier la proportionnalité des mesures réglementaires de restriction édictées par l’État par rapport aux droits fondamentaux de l’homme comme celui d’aller et de venir, celui d’accès égalitaire aux soins de santé et celui du libre exercice de son culte dans des lieux dédiés à cet effet.

Démarche méthodologique

Le présent Test est un outil destiné aux États mais aussi aux organisations de défense de la démocratie pour leur permettre d’évaluer en toute objectivité les pratiques étatiques en temps de crise au regard des critères de démocratie inscrits dans leslois fondamentales. Mais une évaluation objective implique nécessairement la réunion de plusieurs conditions :

1. identification d’une crise grave susceptible de remettre en cause l’équilibre démocratique au sein d’un État. 2. Une analyse exhaustive et indépendante des origines, manifestations et conséquences de cette crise. 3. La collecte et la compilation des toutes les preuves jetant la lumière sur les pratiques de l’Etat (pouvoir exécutif, assemblée nationale, justice, médias ou tout autre organe important) dans la gestion de la crise susceptible d’affecter les principes démocratiques prévus dans la constitution. 4. La mise en place d’un comité doté de moyens de travail et composé de personnes compétentes et indépendantes pour conduire la réalisation du Test.

Après la réunion de ces préalables, la réalisation d’un Test objectif et non subjectif exigera l’association à la crise identifiée de certains critères de conformité. Ces critères, au nombre variable selon chaque crise, doivent être précis, objectifs, mesurables et surtout pertinents. Un critère imprécis éloigne de la cible, un critère subjectif traduira l’opinion des évaluateurs, un critère non mesurable conduit aux généralités et un critère non pertinent fausse inévitablement l’objet même du Test dévaluation.

En fin l’application et la confrontation rigoureuses des critères dévaluation du Test permettent de tirer des conclusions précises sur la ou les pratique(s) en cause de l’Etat sur chaque critère d’évaluation de la crise sous examen. Ces conclusions permettent de juger au regard de chaque critère de la crise si lapratique de l’Etat est satisfaisante, moins satisfaisante ou non satisfaisante. Les évaluateurs ont la liberté d’associer des notes aux jugements qu’ils émettent sur chaque critère d’évaluation de la crise. La combinaison de ces jugements sur chaque critère ou l’addition des notes attribué aux critèrespermettent en définitive aux évaluateurs de donner un jugement global sur la conformité de la ou des pratique(es) de l’État aux critères fondamentaux de la démocratie en temps de crise.

Les résultats de ce Test et les renseignements qu’il comporte constituent un précieux outil aux décideurs publics. Il leur permet de prendre les mesures les plus appropriées pour améliorer et  qualifier la pratique étatique face aux prochaines crises susceptibles de mettre en danger les principesdémocratiques formellement inscrits dans la constitution. Ce Test, s’il est bien réalisé, ressemblera à un miroir qui présentera avec le maximum d’objectivité et de précisions à l’État, sa propre pratique en matière du respect des principes démocratiques en période de crise majeure. Cette présentation objective et surtout indépendante des réalités est aussi uneextraordinaire opportunité pour l’amélioration des pratiquesdémocratiques de l’état en temps de crise.

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