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Dossier – Enquête : Où se soignent nos ministres et les hommes « nantis » du pays ?

En août 2017, en Afrique du Sud, le ministre de la Santé de Jacob Zuma, Aaron Motsoaledi a fustigé le comportement des leaders africains qui se soignent à l’étranger. Selon lui, c’est une honte pour les africains car il faut promouvoir le système de santé en Afrique.

« J’avais dit cela avant et je vais le redire encore : nous sommes le seul continent qui avec des leaders qui se soignent en dehors du continent. Nous devons en avoir honte. C’est ce qu’on appelle le tourisme de santé. Nous devons promouvoir la nôtre. Nous devons promouvoir nos systèmes de santé », a déclaré le ministre cité par la BBC.

En Guinée, c’est un secret de polichinelle, nos médecins travaillent dans des conditions déplorables. Quant aux hôpitaux de l’intérieur, ils sont pour la plupart considérés comme des mouroirs. A Conakry, nos CHU, eux, sont en manque d’équipements de dernière génération. Dans les quartiers enfin, poussent partout des cliniques parallèles.

Conséquence directe, certains patients se font évacuer à l’étranger comme les hauts cadres de l’État, les hommes nantis. Les uns, pour des soins intensifs. Les autres, pour des simples contrôles médicaux. Mais tous pour la plupart, au moindre petit rhume, s’envolent pour l’étranger. Leurs lieux de destination sont entre autres le Sénégal, le Maroc, la Tunisie, la France, la Belgique, la Turquie et l’Inde…. Le prétexte qu’ils utilisent, on le sait tous, c’est la visite privée.

Pendant ce temps, la majorité des guinéens, n’ayant pas les moyens de se faire soigner à l’étranger ou dans certaines cliniques privées (qui disposent plus ou moins de matériel plus adéquat), est obligée de se contenter des soins fournis par les hôpitaux de Conakry ou de l’intérieur.

Pour bien cerner le phénomène, votre quotidien en ligne, Guinéenews a mené des investigations. Nous espérons qu’avec la construction de l’hôpital sino- guinéen et la rénovation des hôpitaux Ignace Deen et Donka, nos hommes nantis vont désormais se soigner au pays.

D’après nos investigations, s’agissant des hauts responsables de l’État, il existe deux groupes qui voyagent à l’étranger pour des soins. Un premier qui a la double nationalité et qui profite de son séjour à l’étranger pour se faire soigner et le second groupe qui y va sous le label de « visite privée » pour faire des bilans. Mais pour le premier cas, l’on se demande pourquoi profiter d’un séjour pour faire un bilan à l’étranger si on a confiance aux médecins locaux.

Interrogé, le président de la majorité présidentielle, Amadou Damaro Camara fait partie du premier groupe. « Je suis résident américain et donc, je peux me faire soigner là-bas pendant mon séjour. Ce qui n’est pas donné à tout le monde. Maintenant là même je suis malade, j’ai une forte grippe. Mais j’ai été avant-hier à Ignace Deen pour voir un médecin. Dieu merci, je n’ai pas une maladie qui demande un traitement spécial mais à chaque fois que j’ai l’opportunité d’être aux États- Unis, je fais un bilan très approfondi. J’ai cette opportunité, pas parce que je suis président de la majorité présidentielle, cela existait avant que je ne sois député, donc cela n’a pas commencé avec la législature de 2013 », explique le député.

Mais selon des informations recoupées, les  citoyens à double nationalité ne bénéficient pas en général de la santé gratuite dans leur pays de seconde nationalité s’ils n’y résident pas où ne cotisent pas à la sécurité sociale de ces pays ce qui conduit parfois à des « contournement » des lois ».

Pourtant, rappelle le député de la majorité, la Guinée a connu dans le passé  des périodes de gloire où toute l’Afrique occidentale venait se soigner plus précisément à l’hôpital Pechiney à Fria, et à CBG, à Boke. Mais, deplore-t-il, « avec le démantèlement de ces deux hôpitaux, les malades préfèrent aller au Maroc et au Sénégal. Mais je crois avec les investissements qui sont en train d’être  faits à Donka, à l’hôpital Sino- guinéen, je pense que les évacuations vont diminuer » a-t-il prédit.

« Il y aura de toutes les façons des maladies qu’on ne peut pas soigner ici.  Un malade même dans un même hôpital peut avoir confiance à un médecin par rapport à un autre », a-t-il rajouté.

S’agissant des ministres, nous avons tenté de connaître les lieux où se soignent ces hauts cadres de l’État. Sur un lot de 5 personnes, seuls deux, ont accepté de répondre à nos questions.

Tout d’abord, le ministre de l’enseignement technique, de la formation professionnelle, de l’emploi et du travail, Damantang Albert Camara, et aussi porte-parole du gouvernement guinéen.

 « Je suis actuellement malade et je me soigne ici. Récemment, j’ai fait un scanner à la caisse nationale de sécurité sociale qui dispose d’un matériel de pointe. Lors d’un de mes séjours à l’étranger, j’ai fait une contre-expertise de ce scanner et les médecins que j’ai rencontrés m’ont dit qu’ils ont rarement vu une image aussi nette. Ça me donne confiance aux structures hospitalières en Guinée en attendant que tous les efforts qui sont faits, permettent d’en avoir les meilleurs »  a-t-il affirmé.

Pour sa part, son homologue du tourisme, Thierno Ousmane Diallo, répondant au téléphone de Guinéenews depuis Tougué, a été on ne peut plus clair. « Cela dépend de quel type de maladie, si c’est la fièvre ou la malaria, je me soigne ici, si c’est une opération par exemple, ce serait mieux que j’aille ailleurs », a-t-il répondu, tout en trouvant notre question très bizarre.

Et de donner un exemple. « Je me suis cassé le bras ici lors d’un accident et je me suis fait soigner ici  à l’hôpital sino guinéen. On m’avait proposé d’aller au Maroc mais j’ai préféré mettre le plâtre ici en Guinée. Et je pense que cela a réussi parce que j’ai toujours mon bras ».

Avant le ministre du tourisme, son homologue de la communication aussi, Alhousseiny Makanéra, avait été évacué en France le 2 septembre 2015. Victime d’un accident de circulation,  dans le district de Nafaya, sur la nationale Boffa-Boké, alors qu’il se rendait à Boké pour des raisons sociales, l’homme a finalement regagné Conakry le mardi 22 septembre.

Nous lui vainement appelé pour vérifier une information relayée par ses détracteurs selon laquelle son évacuation sanitaire en France aurait coûté aux finances publiques quelques 200 mille euros, mais occupé par la campagne électorale, il n’a pas eu le temps de nous édifier.

Avant Makanéra, le ministre de la justice d’alors, Me Christian Sow avait été victime d’un grave accident de la circulation sur l’axe Kobaya- Lambanyi, le dimanche 4 décembre 2011. C’était à la suite d’une collision de sa voiture avec un véhicule transportant du ciment et de tôles.

Admis pour un premier temps à la clinique Ambroise Paré pour les premiers soins, les médecins constatèrent des fractures au poignet gauche et une blessure profonde au niveau du crâne. En réaction, ils avaient suggéré l’évacuation de Me Sow sur Dakar pour des soins intensifs.

C’est comme également l’actuel ministre de l’industrie, Boubacar Barry « Big- Up ». En janvier 2016, Big Up avait bénéficié d’une évacuation sanitaire au Maroc, puis à la clinique américaine de Paris en France, suite à une sévère crise de diabète, dit-on. Il reviendra finalement au pays, quatre mois après, bien en forme mais, cette fois-ci, marchant avec une canne.

Après ces hauts cadres de l’État, nous nous sommes intéressés à cette autre couche de la population. Les commerçants fortunés.  Selon Mamadou L. Sow, importateur de différents articles en Guinée, dit ne pas avoir confiance aux prestations des médecins guinéens. « Je ne doute pas de leur compétence, mais ils sont en manque d’équipements. Or, c’est à travers les résultats d’un examen qu’on peut connaitre le genre de maladie dont souffre le patient, si le diagnostic est mal posé, il va s’en dire que les soins seront ratés » déclare-t-il.

Il ajoute également que les produits administrés sont pour la plupart des contrefaçons, ce qui aggrave votre souffrance, fait-il remarquer. M. Sow soutient qu’il n’existe pas de pays où les soins sanitaires sont moins coûteux plus que la Guinée. « Donc, si les patients décident d’aller dépenser beaucoup ailleurs, c’est parce le service d’ici est défaillant », a-t-il dénoncé.

Pour comprendre pourquoi les hauts cadres de l’État et les plus fortunés font recourir aux soins d’ailleurs, nous avons interpellé un médecin en service au CHU Donka, en l’occurrence  Dr Fodé Amara Traoré, médecin au service des maladies infectieuses. Il justifie cet état de fait par plusieurs raisons.

« Premièrement ça peut être une insuffisance d’équipements. Il y a par exemple, certains examens d’imagerie, d’hématologie ou de scanner, ou encore des interventions chirurgicales pointues qui ne sont pas disponible dans le pays. On est donc obligé parfois de référer les patients à l’étranger dans les différentes structures où  ces différents examens peuvent être faits » entame le médecin.

La  seconde raison, poursuit-Dr Traoré, il y en a qui vont à l’étranger parce qu’ils n’ont pas confiance au personnel soignant de la Guinée. Dans ce cas, souligne-t-il, ce n’est pas parce qu’on n’a pas pu poser le diagnostic ou qu’on ne peut pas soigner la maladie ici mais pour des raisons propres à eux, ils préfèrent aller se faire soigner dans les structures étrangères. Et en médecine, le patient est libre de choisir son médecin et la structure qui le soigne » soutient-il.

Poursuivant, il raconte à notre micro, qu’il y a encore un groupe de patients qui trouvent leurs maladies un peu honteuse et par peur que les voisins ne se rendent compte de quoi, ils souffrent, ils se mettent dans le premier avion pour aller se soigner à l’étranger.

Dr Traoré se dit réellement gêné par ses évacuations à outrance des guinéens à l’étranger, d’autant plus qu’ « on a rien à envier les autres médecins de la sous- région en terme de compétence, en terme de ressource humaine. La science est universelle, nous recevons les mêmes enseignements, les mêmes programmes, les mêmes formations », fait remarquer Dr Traoré.

Mais espère-t-il,  avec la rénovation de l’hôpital Donka, « il n’aura pas de raison que des gens partent se soigner à l’étranger parce qu’on aura un plateau technique vraiment hi-tech et tout sera possible ici. Nous avons des ressources humaines qui sont compétentes, qui sont très bien formées » soutient-il.

Pour savoir si exactement certains de nos cadres partent dans les différentes structures du pays, nous avons posé la question à Dr Traoré. Il nous confie qu’ils sont très rares. Mais, « certains viennent dans nos hôpitaux mais pour préserver leurs anonymats, ils ne viennent pas à des heures d’affluence. Ils ont peur surtout qu’à leur vue, les gens les étiquettent et interprètent mal.  Il y a parmi eux qui acceptent d’être suivi, mais quand nous voyons que nous sommes limités en terme de diagnostic ou de traitement, on lui propose des évacuations. Cependant, la majorité n’a pas confiance en nous. Sans même nous rencontrer, ils s’embarquent pour l’étranger pour des maladies qui n’en valent pas du tout la peine ».

Le directeur du centre hospitalier universitaire d’Ignace Deen, Dr Awada a confirmé la thèse de Dr Traoré.  « Il y a des ministres et des hauts cadres de l’état qui viennent pour se soigner parce que c’est un CHU qui regorge des sommités médicales. Nous avons des professeurs, des maitres assistants, des assistants, c’est le sommet de la pyramide médicale » se vante-t-il.

Mais poursuit notre interlocuteur, il y a plusieurs patients qui demandent à être évacuer pour des pathologies « qu’on peut prendre en charge ici, mais je ne saurais expliquer les raisons ici » tout en avouant qu’il existe des cas de pathologie qui ne peuvent être gérés en Guinée.

Dr Awada reconnait aussi que son CHU est sous- équipé mais, à l’image de Dr Traoré, le directeur de l’hôpital Ignace Deen pense lui aussi, qu’avec la reconstruction de l’hôpital National Donka, il y aura moins d’évacuation sanitaire à l’étranger. Il faut souligner de passage que comparativement à un passé récent, le CHU Ignace Deen, a connu un coup de balai.

Parlant de la rénovation et de l’extension du second CHU, Donka, nos tentatives de rencontrer la directrice Dr Fatou Sikhé Camara ont été vaines. Nous nous sommes rendus pendant trois jours d’affilée à son bureau où elle est introuvable.

S’agissant justement de la directrice du plus grand hôpital du pays, le CHU de Donka, Fatou Sikhé Camara n’a apparemment pas confiance aux soins donnés dans sa structure. L’on se souvient qu’en août 2016, elle s’était rendue en France pour des soins. A l’époque, elle avait fièrement annoncé sur son compte Facebook qu’elle se soignait à l’Hexagone gratuitement.

« Je suis arrivée ce matin à Rouen chez les jumelles pour mon contrôle médical qu’elles ont réussi à me rendre 100% gratuit avec l’Aide Médicale de l’État Français » avait-elle écrit. Ce post avait créé l’indignation sur les réseaux sociaux et un tollé dans les médias locaux.

Par ailleurs, il y a quelques années, l’Etat Guinéen a créé l’Institut National d’Assurance Maladie Obligatoire (INAMO) qui s’occupe des évacuations sanitaires des Fonctionnaires de l’État et leurs ayant droits. Pour le besoin de notre enquête, votre quotidien en ligne a effectivement rencontré le directeur de l’institut en vue de s’enquérir du nombre d’évacuation des cadres guinéens à l’étranger. À chaque fois, il a ajournée ses réponses. La dernière fois, c’est le 31 janvier 2018.

En attendant d’en savoir plus, aujourd’hui, force est de reconnaître que tous les guinéens fondent l’espoir sur l’hôpital national Donka dont les travaux de rénovation et d’extension seraient à 85 % d’exécution, à en croire aux ingénieurs. A noter que la réhabilitation de cet hôpital a été rendue possible grâce à un financement de l’Union Européenne dans le cadre de l’appui post- Ebola fait à la Guinée.

En tout état de cause, il est important de souligner que si la Guinee veut que tous ses fils se soignent au pays, l’Etat devrait faire des gros investissements dans le secteur de la santé. Depuis 2010, le budget du ministère est passé successivement de 3 %, puis 6 %, et aujourd’hui à 8,34%, alors que l’OMS a recommandé aux pays africains en 2001 de consacrer 15% de leur budget aux soins de santé. Quinze ans plus tard, seuls le Botswana, le Burkina, le Malawi, le Niger, le Rwanda et la Zambie sont en règle.

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