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Dossier-Guinée : familles endeuillées, rêves brisés, autorités impuissantes, le lourd tribut payé par les jeunes désespérés à la migration clandestine

Depuis quelques années, les jeunes vivant au sud du Sahara sont de plus en plus nombreux à vouloir atteindre coûte que coûte l’Europe. Tous les moyens sont bons pour y arriver. Même au péril de leurs vies. En quête d’une vie meilleure qu’ils pensent trouver à l’autre côté de la Méditerranée. La Guinée est aujourd’hui l’un des pays où les candidats au départ à la migration sont  parmi les plus importants en Afrique et dans le monde.

Pour en savoir davantage sur cette triste réalité, la Rédaction de Guinéenews© s’est penchée sur ce fléau qui a pris des proportions devenues de nos jours inquiétantes dans toute la sous-région.

Parmi les codes, du moins les slogans qui circulent entre ces candidats à la migration clandestine, on peut, entre autres, retenir ceci : « ko euro maa ewol » qui littéralement traduit, veut dire : « les euros ou la mort » ou encore « Yaha loumba maa houmba » qui veut dire : ‘’aller traverser ou bien flotter’’. Des expressions qui, en quelque sorte, en disent long à la fois sur l’ampleur de ce phénomène mais aussi sur la farouche détermination, le courage et la motivation qui animent sans cesse ces jeunes, d’une part et de l’autre, la misère qui domine leur vie ainsi que le désespoir  d’un lendemain meilleur pour le pays.

L’obsession de la migration clandestine chez les jeunes

Le seul rêve de tous ces jeunes, atteindre l’Europe. Cette obsession est attisée par les images que certains migrants ayant réussi, contre vents et marées, à entrer en Europe, postent  sur les réseaux sociaux. Le commerce des noirs en Libye, la soif et la famine du désert, la demande de rançons, les geôles, les tortures et même la mort ne semblent pas les dissuader dans leur envie d’atteindre ce qu’ils pensent être l’eldorado, c’est-à-dire l’Europe. Aujourd’hui, cette migration clandestine est sur toutes les lèvres et devient une préoccupation générale tant pour les pays de départ que ceux d’accueil.

« La question de la migration, c’est une réalité très prégnante aujourd’hui en Guinée. Quand vous vous référez des statistiques relatives à la question, les Guinéens représentent la troisième communauté étrangère recensée à l’arrivée en Italie après la Syrie et le Nigeria. Donc, c’est pour vous dire un peu l’ampleur du phénomène. Et même quand vous vous référez au retour, il y a un projet que nous mettons en œuvre sur financement de l’Union Européenne. Ce projet visait à retourner deux milles migrants sur trois ans. Mais seulement en un an et demi, l’OIM (Organisation Internationale pour les Migrations) a assisté dans le cadre du retour de ces neuf milles deux cent soixante onze (9 271) migrants. Toutes les semaines, il y a des gens qui reviennent. La région du Fouta, de façon générale donc Mamou et Labé, ce sont des régions de grand départ de migrants…», a interpellé Mouhamed Dougouno, le chef du sous bureau OIM Labé-Mamou.

Des parents déboussolés et impuissants faces à cette obsession suicidaire de leurs enfants

Les parents de ces candidats à la migration clandestine vivent un véritable calvaire après le départ de leurs fils ou filles. Entre sacrifices, prières, bénédictions, d’une part, l’insomnie, le manque d’appétit, le traumatisme, le chantage, l’endettement, mise en gage des biens, ils sont prêts à tout pour sauver leurs progénitures, coincés entre  Maghreb  et l’Europe.

«…J’ai été obligé de m’endetter pour venir au secours de mon fils aîné qui était en détresse en Libye. Je n’aime pas revenir sur ce que j’ai vécu durant cette période, certainement la plus cauchemardesque de ma vie. J’avais peur que mon téléphone sonne. Et à chaque fois qu’il sonnait et que je voyais un numéro de l’extérieur, j’avais l’impression que mon cœur explosait. Je m’attendais à ce qu’on annonce la mort du petit ou à ce qu’on me réclame encore de l’argent. Le cauchemar s’est dissipé le jour que lui-même m’a appelé pour me dire qu’ils sont arrivés en Italie. Ce jour, je n’ai pas pu contenir ma joie et j’ai sauté comme un gamin…», a expliqué Alpha Boubacar Barry fonctionnaire à la retraite.

Si certains candidats à la migration clandestine volent de l’argent à leur parent et partent en cachette, d’autres mette sous forte pression les leurs pour qu’ils adhèrent à leur projet. D’autres encore voyagent avec leurs propres moyens.

« Il pouvait parfois rester assis sur ma moto presque toute une journée. Il ne mangeait presque pas. Au début, j’avais cru qu’il avait été atteint d’une démence. Mais à force de l’approcher et de le dorloter, il a fini par me mettre dans le secret de son projet. Il m’a intimé l’ordre de mettre le plus tôt que possible les moyens nécessaires pour son voyage. Et je vous avoue que j’ai eu l’impression que le ciel était tombé sur ma tête. J’ai tenté de le raisonner en lui expliquant que moi je ne suis jamais sortis de la Guinée. Mais toutes mes tentatives sont restées sans succès. Et finalement, j’étais obligé de trouver quelque chose pour lui permettre de s’en aller. Après son départ, le cauchemar a commencé. Les nuits blanches, les peines, les sacrifices. Et chaque jour, on entendait que tel ou tel jeune est mort. J’étais vraiment désorienté. Et à chaque fois qu’il appelait, c’était pour nous demander de lui envoyer de l’argent », s’est il confié un parent qui a préféré garder l’anonymat.

Si parmi ces candidats à cette migration clandestine certains arrivent à bon port, d’autres et qui sont d’ailleurs plus nombreux, perdent la vie dans la traversée du Sahara ou de la Méditerranée.

Elhadj Mamadou Oury a perdu un proche et se rappelle de cette tragédie : « Il s’appelait Alpha Oumar Barry. Après la fin de ses études supérieures, il y a deux, par manque d’emploi, il nous a rejoints en Guinée-Bissau. On a travaillé ensemble durant un bon bout de temps. Mais lorsqu’il a eu un peu d’argent, il s’est caché de nous sous prétexte qu’il partait payer la noix de cajou dans les plantations d’anacarde. En réalité, il avait rejoint le Maroc. C’est après sa mort dans la méditerranée, entre le Maroc et l’Espagne qu’on a réellement su qu’il n’était pas en Guinée-Bissau. Cela nous a tous causé un grand choc. C’est vraiment très pitoyable. C’est le manque de travail qui fait que nos jeunes meurent chaque jour sur le chemin de l’Europe. »

Dans le même sillage, Mamadou Diouldé Barry, réparateur de téléphone basé dans la commune urbaine de Labé a perdu aussi son jeune frère dans la Méditerranée, il y a quelques mois. Il n’arrive toujours pas à tourner la page et c’est très difficile pour lui de digérer la mort de son petit dans des telles conditions.

« Cela fait des mois maintenant depuis que mon jeune frère est mort de noyade dans la méditerranée. C’est leur embarcation qui aurait chavirée. Avant son départ, il n’avait jamais fait allusion  ouvertement à son intention de tenter cette aventure. C’est une fois en Libye qu’il a commencé à nous appeler pour qu’on lui envoie de l’argent. Après environ un mois, il a appelé pour nous dire qu’il allait s’embarquer le soir même. Nous avons tous tentés de le dissuader mais en vain. Finalement, il nous a fait comprendre qu’il était arrivé à un point de non-retour et qu’il sollicite des prières et des bénédictions avant de raccrocher. J’ai beau tenté de le joindre sans succès durant quelques jours. Et finalement, un de ses amis avec lequel il était, a appelé pour nous informer de la triste nouvelle. J’étais anéanti et je ne savais quoi faire. C’est très difficile. Je n’en croyais pas. Et pas de corps, rien », a déploré Diouldé Barry, la gorge nouée.

Témoignages choc, saisissants de quelques migrants fraichement retournés au bercail

Ce qui est marquant de plus, c’est que tous les migrants revenus au pays, sont unanimes sur deux points. Le premier dénote du manque d’emploi et des conditions de vie précaires. Le second relève du fait que personne parmi eux, ne souhaite plus jamais emprunter la voie illégale pour atteindre l’Europe. Ne dit-on pas souvent que celui qui a vécu une chose, celui qui l’a aperçu et celui qui l’a entendu, raconter, ne courent jamais au même rythme.

« Moi, mon rêve était de devenir journaliste et pour cela, il me fallait une formation à l’étranger. Mais pour aller continuer mes études à l’extérieur, je n’avais pas de soutien. Mon père est décédé et ma mère est au village. Et lorsque j’ai eu mon baccalauréat, j’ai décidé d’aller en Italie. C’est ainsi que je suis parti avec mes cousines qui avaient vendu la voiture de mon oncle. Depuis le Mali jusqu’au Niger, il y a plus d’une soixantaine de barrages où il y a chaque fois à payer et on n’avait presque pas d’argent. C’est un réseau d’arnaqueurs bien organisé auquel il faut payer pour passer et échapper aux tortures. En cours de route, j’ai réalisé que mon rêve était devenu le pire des cauchemars. Et pendant huit mois, j’ai vécu un véritable enfer. Des troubles de mémoire sous l’effet de la chaleur et de la soif. Des morts par dizaines. C’était terrible. On m’a envoyé dans une maison de prostitution ou j’ai vécu durant trois mois sans voir le ciel. J’ai été obligé d’appeler la famille pour qu’on m’envoie 600 000 FCA pour recouvrer ma liberté », a confié Conté M. une migrante retournée de l’Algérie et de la Libye avant d’ajouter : « Je conseillerai aux jeunes de rester ici. Les causes qui m’ont poussées sont personnelles mais la vie est une question de chance. »

Quant à Saïkou Oumar Tall, il a fallu de peu qu’il y laisse sa vie. Stigmatisation, tortures, haine ont été son quotidien. Il s’est retrouvé avec un pied et un bras cassés ainsi que des cicatrices énormes sur tout le corps. La fatigue et le désespoir se lisent encore sur sa figure. Il a accepté de se confier à notre micro.

« Aujourd’hui, je marche avec des béquilles. C’est en Libye qu’ils ont cassé mon pied et mon bras avec beaucoup d’autres cicatrices. Il faut dire que j’étudiais à Conakry et avec ma mort de mon père, j’ai dû arrêter l’école en 2011 faute de soutien. J’ai donc décidé d’aller en aventure. J’ai commencé par la Côte d’Ivoire et de là, je me suis embarqué pour Agadez. J’ai été torturé au niveau des frontières que j’ai eues à traverser. J’ai même été électrocuté. Tout mon argent a été bloqué. Un passeur m’a pris un jour à la gare de « Rimbo » et m’a escroqué soit disant qu’il allait m’aider à aller en Italie. Histoire de me tromper…. Je ne savais pas que j’ai été vendu. On m’a enfermé avec d’autres dans une prison et dans cette prison, on nous torturait pour qu’on appelle la famille afin qu’on nous envoie de l’argent », a expliqué, notre interlocuteur, la voix cassée. Et d’ajouter : « Connaissant la situation de ma maman, j’ai préféré mourir que de l’appeler… Après un mois de torture, j’ai été aussi revendu. J’ai fait en tout sept mois de prison. C’est à Sabratah, en Libye qu’ils ont cassé mon pied et mon bras. Ils me frappaient avec des bois. Et lorsqu’ils ont prévu pour nous embarquer pour se débarrasser de nous dans le désert, chaque jour mon acheteur, à son arrivée, venait avec un couteau avec lequel il me traçait sur la main. Durant quatre jours, ce fut mon quotidien d’où ces quatre cicatrices. Et par après, on a été abandonné en plein désert. Onze jours durant, on marchait et Dieu merci ils (les passeurs) nous avaient donné de l’eau et du « gari » communément appelé ‘’Farigna’’. Et beaucoup sont morts au cours du trajet. »

Boubacar Ly aussi, fraîchement rentré au bercail, ne passe pas par quatre chemins. Pour lui, la seule façon de vivre dignement, c’est de partir par la voie légale.

« Je ne veux vraiment pas parlé de ce sujet. Parce que vouloir repartir, c’est encore risquer sa vie et tout l’enfer qu’on a enduré. Je n’ai plus envie d’emprunter ce chemin de la clandestinité. Mon rêve, c’est d’avoir un visa et partir dignement. Je ne veux plus être un esclave tant que je vis. C’est pourquoi Dieu m’a donné tout les membres au grand complet », conseille-t-il à tout candidat à la migration clandestine.

Un adage dit qu’on n’apprécie pas la valeur d’un bonheur que lorsqu’on le perd. Cet élève rescapé de l’enfer Libyen et qui a requis l’anonymat, suivait paisiblement ces cours ici à Lélouma avant de décider avec quelques amis de se rendre en Europe par la voie illégale. Il a accepté de raconter son calvaire quelque temps après avoir été rapatrié.

« C’est très dur actuellement de vivre au Niger ou dans le Maghreb si on n’est pas en règle. Nous sommes revenus, il y a juste quelques temps. Les bastonnades, les tortures et même des meurtres sont devenus monnaie courante. C’est une chance pour moi de revenir. Je remercie le bon Dieu de m’avoir sauvé. Ce qu’on a vécu est vraiment déplorable. Ils bastonnent, nous torturent sans motif. Chez les filles, c’est pire. Elles sont exposées à tous les risques. En tout cas moi, je conseillerais à toute personne qui à l’intention d’aller en Europe en passant par le Maghreb de ne pas le faire. Car, c’est du suicide pur et dur. C’est mieux de se débrouiller ici avec le peu qu’on gagne auprès des parents », a déclaré ce jeune rapatrié.

Bien que conscientes de l’ampleur du fléau, les autorités peinent encore à trouver les  stratégies appropriées pour y faire face

Face à l’ampleur que prend le phénomène, les autorités ne savent plus à quel saint se vouer.

Interpellé sur la situation, le député uninominal de Lélouma affirme que le chômage et le manque de projets générateurs de revenus seraient, entre autres, les causes qui poussent les jeunes à se lancer dans des telles aventures.

« Vous comprendrez que l’immigration clandestine est aujourd’hui un phénomène qui est d’actualité sur le plan national et international. Donc, c’est devenu un problème de sociétal qui est lié à plusieurs facteurs. Chez certains, c’est de la tradition. Mais actuellement, ce n’est plus fondamentalement la raison. Il y a le problème de l’emploi des jeunes…Car, à un certain stade, on ne peut plus être à la charge des autres. Et des préfectures comme Lélouma ici, il n y a aucun projet de développement. Ceci étant, les gens sont obligés d’aller chercher ailleurs…», a expliqué Dr Ibrahima Diallo et de poursuivre : « Pour lutter contre la migration, il faut vraiment éradiquer les causes, c’est-à-dire le chômage et puis des questions politiques. Je suis à l’Assemblée nationale depuis 2014 et je peux dire qu’il n y a eu aucun projet de développement pour Lélouma. C’est très regrettable. Et il faut signaler que Lélouma est l’un des points les plus importants de l’immigration clandestine. On a perdu énormément de jeunes. Je me rappelle aussi de la tragédie où 7 jeunes de la sous-préfecture de Korbé ont péri dans la mer Méditerranée », a déploré le parlementaire.

Le gouverneur de la région administrative de Mamou, quant à lui, tire la sonnette d’alarme et pense que vue de par sa position géographique, Mamou constitue l’épicentre de la migration.

« C’est une ville où il est assez courant d’observer des mouvements de populations mais aussi pour le fait que Mamou constitue l’épicentre de la migration pendant ces dernières années en Guinée. Cela s’exprime à travers des villages entiers qui se vident de leur jeunesse quand ce ne sont pas des familles qui sont régulièrement endeuillées par la perte de leurs fils ou filles… Nous nous souvenons encore du douloureux épisode des 38 jeunes qui ont perdu la vie sur les rives dans la méditerranée. La priorité est donc évidente pour l’Etat et ses partenaires de chercher des solutions idoines pour contribuer à endiguer ce phénomène », a sollicité Amadou Oury Diallo, el Gouverneur de Mamou.

Malgré cette triste réalité, les jeunes candidats à la migration clandestine ne désarment pas. Certains tiennent mordicus à se retrouver à l’autre côté de la Méditerranée à la quête d’une vie meilleure. C’est le cas de ce jeune qui a préféré s’exprimer sous le seau de l’anonymat.

« Il faut suivre son destin. Vu les conditions que je traverse actuellement pour rien au monde, je ne manquerais cette occasion si elle se présente. Je suis en train de me planifier pour prendre les poudres d’escampette. La vie que je vis actuellement est aussi pire que tous ces bobards qu’on raconte. A chacun sa chance », a-t-il coupé court.

Si aujourd’hui la migration clandestine, en raison des risques qu’elle comporte, trouve de moins en moins de candidats surtout après le fiasco et les souffrances des revenants, ils sont, par contre très nombreux aujourd’hui parmi les jeunes à toujours caresser le rêve de repartir par la voie légale.

« La migration n’est pas une mauvaise chose… Nous savons que la migration a des avantages lorsqu’elle se fait dans les conditions requises, lorsque les gens ne prennent pas de risques pour partir. La migration irrégulière, ce, à quoi on assiste aujourd’hui, c’est ce qui pose problème. Parce que les gens prennent beaucoup de risques pour partir vers le Niger, la Libye, l’Algérie ou le Maroc en empruntant des embarcations de fortunes comme des pirogues pour traverser. Là, il y a beaucoup de risques…, d’une part et d’autres parts, il ne faut pas penser qu’en arrivant en Europe, cela pourra mettre un terme aux difficultés de la vie qu’on rencontre… L’Europe a ses problèmes. Le chômage y bat son plein. C’est là ou les problèmes commencent. Ils peuvent banalement faire 5 à 10 ans à courir pour les papiers. Alors qu’ici, il y a des solutions pour s’en sortir », a conseillé le chef du sous-bureau OIM Mamou-Labé.

Visiblement, en dépit des problèmes soulevés tout au long de ce dossier, d’autres jeunes sont encore prêts à se lancer dans cette folle et incertaine aventure via l’enfer du Sahara et de la Méditerranée pour atteindre l’Europe. Une manière d’interpeller les uns et les autres qu’au vu de la situation, la migration clandestine a encore de beaux jours devant elle.

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