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Dossier-Guinée : le blocus dans la vente de la musique guinéenne à l’internationale et les remèdes pour inverser la tendance (1ère partie)

Sous la première République, la Guinée, à travers sa Culture, notamment sa musique a rayonné de mille et un éclats sous les projecteurs du monde entier. Avec la clairvoyance des acteurs comme Keita Fodéba et des ensembles instrumentaux comme les Ballets africains, le Ballet Djoliba, les orchestres nationaux Sofa de Camayenne, Horoya Band et Kèlètigui et ses tambourini, entre autres, le pays a fait des merveilles à travers le monde.

Mais aujourd’hui, force est de reconnaitre que cette musique guinéenne est confrontée à d’énormes difficultés liées à sa consommation même à l’échelon africain. Une malheureuse situation qui fait que cette musique est moins vendue à l’échelle internationale.

Constat

D’entrée, notons que l’industrie musicale en tant que telle n’existe plus au pays. Il n’y a aucune filière de musique qui soit développée. Pas de maisons de disques professionnelles sur le terrain. Pas de labels professionnels. Pas de véritables maisons de productions. Bref, toute cette chaine manque de nos jours en Guinée.

Aussi, les productions musicales, aujourd’hui, laissent à désirer. Très peu d’artistes travaillent dans de bonnes conditions pour pouvoir faire une œuvre de qualité. Ce sont souvent des programmations faites avec une boite rythmique. Egalement, il n’est pas facile de voir des artistes guinéens enregistrer dans des conditions de live ou avec de vrais musiciens. Si fait que leur musique n’est pas souvent bien élaborée, avec des problèmes de qualité de sons. Pour la plupart des cas, c’est le mix qui n’est pas bien fait. Les compositions musicales aussi.

S’il est vrai que des artistes guinéens chantent bien, par contre, nombreux parmi eux chantent faux. Ils se font rarement accompagner par des directeurs artistiques. Si fait qu’à écouter certaines de leurs chansons, l’on s’interroge tout de suite sur ce que chantent ces artistes. Puisque ni le timing, ni les règles même de la vraie musique ne sont respectés.

Piraterie et vide juridique pour protéger les artistes et leurs œuvres

Aujourd’hui, en Guinée, il n’existe  aucune loi contre les pirateries des œuvres musicales des artistes guinéens pratiquement. Pourtant, des propositions ont été faites en ce sens afin que l’Assemblée nationale puisse prendre des lois contre la piraterie des œuvres musicales. Mais le projet peine encore à être voté. Et lorsque les pirates duplicateurs des œuvres des artistes sont pris et présentés devant les juridictions, à la pire des sentences, ils sont condamnés à 3 mois assortis de sursis. Justement parce qu’il y a un vide juridique à ce niveau.

Aussi, à ce jour, la filière de la musique n’est pas rentable. Les salles de spectacles n’existent pratiquement pas pour permettre aux artistes de tourner, ne serait-ce que dans les 33 préfectures que compte le pays. Parce que si chacune de ces préfectures abritait en son sein une salle de spectacles, cela permettrait aux artistes de tourner au moins deux ou trois fois par an. Hélas, ces infrastructures n’existent pas !

En Guinée, on parle aujourd’hui de copie privée en termes de droits d’auteur. On fait venir des supports numériques, notamment les cartes-mémoires, les clés USB, etc. Alors que sous d’autres cieux, comme le Burkina Faso, il y a une taxe qui est émise sur ces marchandises-là et reversée en droits au bénéfice des artistes.

Une loi a aussi été proposée à l’Assemblée nationale pour les droits d’auteur sur la copie privée. Mais jusqu’à présent cette autre loi peine à être validée.

Effet immédiat

Cela fait qu’aujourd’hui, ceux qui s’engageaient à investir dans la musique il y a 20 ans, avec des maisons de productions comme Super Sélection, Gris-gris Productions. Tout le monde s’est retiré parce que la piraterie a pris d’inquiétantes proportions. Du coup, les artistes ne sont pas protégés. Les producteurs qui investissent leur argent dans la musique ne le sont pas non plus. Plutôt, ils assistent, impuissants, au piratage de leurs produits sur le marché local au nez et à la barbe des autorités qui entretiennent une inertie coupable sur le délit.

A cela, s’ajoute le manque d’organisation qui caractérise l’ensemble des acteurs de la chaine musicale, notamment les producteurs et les artistes. Et malheureusement, il n’ya aucune dynamique qui soit engagée à l’effet d’inverser cette tendance. Sinon, comment comprendre que des lois soient proposées à l’Assemblée nationale pour défendre leur cause, et qu’ils se tiennent dans un mutisme notoire que de mettre une certaine pression sur le législateur pour lui faire comprendre qu’ils sont asphyxiés à cause du piratage de leurs œuvres ? Bref, toute la chaine est malade.

Et voilà que nait une nouvelle génération de producteurs

A cause de cette incurie à l’allure d’une gangrène, l’on assiste désormais à la naissance d’une nouvelle génération de producteurs : ce sont les artistes eux-mêmes. Alors, si un artiste devient son propre producteur, son propre manager et son propre distributeur, n’est-ce pas un manque de repère ? Il y a problème.

Toutefois, il convient de faire remarquer qu’il y a certains artistes qui ont du talent. Parmi eux, Soul Bangs, qui a d’ailleurs eu le mérite d’être signé par Sony Music Afrique. Les groupes de chant de la musique urbaine comme Banlieuz’Art, Degg J Force 3, Instinct Killers, Silatigui, des artistes comme Elie Kamano, Takana Zion, Petit Kandia, Kandia Kora, Azaya, Koundou Waka sont entre autres dont le pays peut se targuer.

Le hic

Mais pourquoi avec tout le talent qu’on leur concède, ces artistes n’arrivent pas à décoller ? Les raisons sont multiples : sur place, les médias ne jouent pas un grand rôle dans la promotion des artistes. On ne fait pas pleinement et avec conviction la promotion des œuvres de nos artistes. Et juste derrière, il y a des agents artistiques qui ne sont pas bien formés, des managers qui ne sont pas bien formés. Car, il ne suffit pas de pouvoir discuter d’un cachet pour prétendre avoir fait prévaloir son talent de manager. Non ! Il faut savoir interpréter des contrats, connaitre le milieu et être dans de vrais réseaux.

Mais en Guinée, on a tendance à tout confondre. Ce qui fait qu’un planteur aujourd’hui peut s’autoproclamer manager demain. Le jeune frère qui est assis à la maison, sans domaine d’action défini, est coopté par le grand frère et parachuté dans le secteur pour faire de lui un manager d’artiste, et tout de suite. Si fait que le professionnalisme a désormais foutu le camp.  Conséquence : nous devenons consommateurs des produits des artistes d’autres artistes.

Combien d’artistes guinéens peuvent-ils faire le plein du stade du 28 septembre, du stade de Nongo ou de l’esplanade du Palais du peuple ? Ils sont combien à le réussir ? Le nombre est si minime qu’on peut l’assimiler à une goûte d’eau dans l’océan. Car, ils se comptent au bout du doigt. Et parfois, les promoteurs de spectacles sont obligés de faire du faux-buzz pour remplir. Encore une fois, il y a problème.

Quid de sonorisation et de salles de spectacles

Jusqu’à une époque relativement récente, il fallait se rendre dans des pays de la sous-région et débourser 30 à 45 millions de francs CFA pour négocier des sonorisations pour des spectacles à Conakry. Heureusement qu’aujourd’hui, avec ses matos,  la structure Sandéniya Productions sonorise valablement les concerts ou autres événements grand public, même si le déficit reste encore à combler. Avec deux ou trois unités de ces instruments pareils, ça fera encore du bien.

Il y a combien de sociétés de BTP aujourd’hui en Guinée ? Guicopres, Kaba Guiter, et autres sociétés de pari comme PMU Winiya Guinée et Guinée Games, ainsi que d’autres régies financières comme la Lonagui, le Patrimoine bâti public, le Port autonome de Conakry, l’Autorité de régulation des postes et télécommunications et l’aéroport qui peuvent, elles aussi, construire, ne serait-ce que de petites salles de 500, 1000 à 1500 places. La rentabilité est immense. En 5 ans ou 10, elles auront recouvré leur sous avec le sentiment d’avoir réalisé des infrastructures pour l’épanouissement de la Culture, et pourront investir cet argent dans d’autres secteurs de leur convenance.

Restons dans ce sillage et rappelons ce qui est important de savoir : une salle ne se mesure pas forcément par sa grandeur : c’est aussi le prestige qu’il y a derrière. Sinon, il y a de grands artistes qui se produisent dans des salles de 2000 à 2500 places en Europe, même s’ils peuvent faire le plein des spectacles. Et c’est ce prestige qui est mis en avant. Donc, c’est tout un travail de fond. C’est toute une réflexion. Sinon, on va faire plusieurs décennies encore dans cette malheureuse situation, la musique guinéenne n’ira nulle part.

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Démarcation de certains artistes

Toutefois, il reste évident que certains artistes puissent tirer leur épingle du jeu et réussissent à vendre leurs talents ailleurs. Ils vont être des rois chez les autres sans être mis en exergue au pays. Pour preuve, des artistes comme Ba Cissoko, Nfanly Kouyaté et Mory Kanté sont des seigneurs à l’extérieur. Ce sont là de grands artistes à l’internationale. Mais quand ils reviennent en Guinée, il n’y a même pas 50 personnes qui puissent les identifier. Encore une fois, il y a problème.

La qualité des musiques qu’on écoute en longueur de journée, en réalité, les artistes chantent quoi ? On fait des flatteries de gauche et à droite, avec une mélodie qui laisse à désirer. Que dire de l’orchestration musicale ?

Propositions de solutions

Il faut que l’Etat, en premier chef, arrive à protéger les producteurs et l’ensemble des acteurs de la filière musique en faisant voter des lois qui puissent les favoriser à mieux protéger leurs œuvres. Aussi, amener les opérateurs économiques à investir dans la musique. Egalement, il faut qu’il y ait de vrais studios d’enregistrement en Guinée comme Mory Kanté l’avait commencé. Qu’il y ait de vraies salles de spectacles pour que les artistes, quand ils produisent, ils puissent diffuser. Parce que la production est une chose. Et la diffusion en est une autre. Alors, si on produit sans être en mesure de diffuser sur place, c’est à l’extérieur on va le réussir ? Avec quels moyens ?

Aujourd’hui, pour passer sur des grandes chaines de télévision, il faut débourser de l’argent. Il faut avoir de bonnes relations. Il faut que l’œuvre que vous avez faite soit connue. Autre chose qu’il faille mentionner est que sur d’autres chaines internationales, le clip de n’importe qui peut passer.

Mais, il faut que celui-ci réponde à certaines exigences. Raison pour laquelle la plupart les beaux clips qu’on regarde sur ces chaines de télévision sont réalisés soit par des sénégalais, soit des maliens, soit des ivoiriens. Parce qu’on n’investit pas non plus dans la vidéo en Guinée, malheureusement. Le pays n’a même pas de studios professionnels où il faut aller faire des photos.

Celui qui est en train de se battre dans ce sens, c’est RasCondel qui s’est offert une petite maison de production chez lui, mais qui n’a pas grands moyens pour produire de grands artistes. Parce que produire un artiste dont vous voulez vendre les œuvres, ça nécessite plusieurs millions. C’est toute une fortune. C’est pourquoi un professionnel, lorsqu’il prend la fiche technique d’un artiste, il veut savoir qui a joué à la guitare basse, qui a fait la batterie, qui a fait la sono, qui a fait ceci et qui a fait cela. Ce sont là de petits détails à la connaissance desquels le pro se livre.

Alors, quand il s’aperçoit que ce sont des grands de la musique à la carrure de Boncana Maïga ou Koudou Athanase qui arrangent l’album, il se dit que cet artiste a eu le courage et les moyens de travailler avec de grands musiciens. Et l’effet est immédiat sur le marché mondial.

Malheureusement en Guinée, durant ces 20 dernières années, les œuvres musicales ne sont pas quasiment de qualité pour conquérir tout d’abord le marché africain du disque à plus forte raison l’échelle -plus loin- internationale. Le problème est entier. Et tant qu’on n’arrive pas à sensibiliser et à organiser des colloques pour discuter autour de cette musique, le phénomène persistera et demeurera toujours.

Les opérateurs économiques ont leur Patronat. Pourquoi les responsables en charge de la Culture ne font-ils pas comprendre à ce Patronat que l’industrie de la musique est aussi importante qu’une mine d’or ou de diamant ? La question mérite bien d’être posée.

Aujourd’hui, tous les grands majors, notamment Vivendi, Universal, Barclay, ambitionnent tous de venir s’installer en Afrique. Pour preuve, Sony Music s’est installé à Abidjan. Universal s’y est également installé. Parce qu’ils ont compris que l’avenir de la musique mondiale se trouve en Afrique.

Partout où elles opèrent, ces structures investissent dans la professionnalisation des œuvres musicales. En témoigne le prochain album de Soul Bangs qui est une parfaite illustration de cet investissement. Sur cette œuvre musicale, l’artiste a abattu un laborieux travail digne d’un professionnel de son domaine. Les musiques sont enregistrées en live, et dans toutes les bonnes conditions, avec un moral d’acier.

Mais un artiste qui se lève le matin et qui doit se battre pour trouver un million afin d’aller travailler le soir sur un son, c’est de la débrouillardise. Ce n’est quasiment pas certain.

Or, la musique, c’est une science et disons même une science exacte au même titre que les mathématiques. Il faut faire des recherches très minutieuses pour pouvoir écrire non seulement une chanson, passer ensuite à sa composition, et enfin à son enregistrement avant de sortir un support. Mais si la pression de ce support même n’est pas bien faite, comment voulez-vous que l’œuvre de cet artiste soit consommable à l’internationale ? Nous ne sommes plus à l’heure de la complaisance là. Soit c’est bon, soit c’est mauvais. Pas de place donc à la demie mesure.

Aujourd’hui, en Guinée, il y a des CD qui sortent, quand on les place dans certains lecteurs, ils ne les lisent pas. Encore une fois, le ministère de la Culture est interpellé, pour qu’en synergie avec les producteurs, musiciens et artistes, il organise une rencontre avec les opérateurs économiques, faire venir des experts nationaux et internationaux et faire comprendre à ces commerçants l’importance d’investir dans l’industrie musicale.

Interpellation

Invite est donc faite aux acteurs du domaine à faire un bon travail et surtout une vraie réflexion nationale. Il faut que la Guinée en fasse une priorité, parce qu’il y a quelques décennies, nous étions le champion d’Afrique dans ce domaine.

Malheureusement, la Culture, qui reflète même l’identité d’un peuple, reste le cadet des soucis des actuels gouvernants. Pour preuve, par deux fois de suite, les Premiers ministres Mohamed Saïd Fofana (2014) et Ibrahima Kassory Fofana (2018) ont omis ce secteur vital d’une nation lors de la présentation de la Politique générale de leurs gouvernements respectifs. Aucun accent n’a été mis sur la Culture. Elle a plutôt été purement et simplement oubliée. C’est la preuve que la gouvernance actuelle n’accorde aucune valeur à la Culture.

Or, pour qui connait bien l’histoire de la Guinée, au lendemain de son accession à sa souveraineté nationale le 2 octobre 1958, les 3 mois de salaire des fonctionnaires ont été payés grâce aux cachets de prestations des célèbres Ballets africains de Keita Fodéba.

Ces mêmes Ballets africains ont participé à l’équipement tous les deux ans, de chaque préfecture en instruments de musique répertoriée dans les annales de l’histoire sous l’appellation d’Orchestres fédéraux, et qui avaient des équipements drainés en Guinée à travers toujours les cachets de prestations des Ballets africains.

A cela s’ajoutent les équipements sportifs de toutes les disciplines confondues. Car, si on a parlé de Hafia football club, triple champion d’Afrique et du Syli national de Guinée, les équipements qu’ils utilisaient émanaient des cachets de prestations des Ballets africains, transformés en marchandises pour que les Ballets puissent jouer dans certains pays et qu’en contrepartie financière, des équipements soient mis à la disposition de la Guinée afin que celle-ci puisse développer une politique sportive cohérente.

L’heure est donc grave. Et même gravissime. Le Cabinet du ministre Sanoussy Bantama Sow et les responsables des directions et d’autres divisions connexes du département en charge de la Culture sont interpellés pour que les artistes soient rétablis dans leurs droits. Et vivement l’instauration de politiques en vue de favoriser l’écoulement de leurs œuvres sur le marché international !

A suivre…

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