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Dossier-Guinée : quand les Conakrykas paient au prix fort l’urbanisation anarchique

Avec sa rapide extension urbaine anarchique, ses nombreux quartiers précaires, son réseau routier limité…, Conakry n’est pas seulement une capitale à réaménager à cause de son aspect. Elle est surtout une ville coûteuse pour les entreprises et les ménages.

«J’ai dû quitter Conakry pour essayer de pratiquer mes activités à Dakar. J’estime qu’il est trop difficile de faire des affaires à Conakry.» En avril 2018, Godwin Dossou, un homme d’affaires béninois, a quitté Conakry avec beaucoup de remords. Dix mois plus tôt, cet homme d’affaires éclectique était arrivé  dans la capitale guinéenne ayant surtout à cœur d’y développer le marketing de réseau. Il a alors créé son entreprise avec ses partenaires Guinéens. Mais, il va vite abdiquer face aux défis quotidiens auxquels sont confrontés les Conakrykas (habitants de Conakry). Sur le plan financier, il aurait perdu plus de 2 000 dollars à Conakry. « Vivre à Conakry, n’est pas donné à n’importe qui ! », nous a-t-il confié, l’air dépité. En effet, vivre à Conakry, c’est accepter d’essuyer des bouchons interminables, matin et soir. Conakry, c’est aussi le loyer cher, des denrées alimentaires coûteuses, des services publics restreints…

Moussa Sidibé (nom d’emprunt), un informaticien de 29 ans, parcourt une vingtaine de Kilomètres en quittant chaque jour son quartier d’Enco 5 – dans la banlieue –  pour rejoindre son bureau, sis à Kaloum, centre administratif et des affaires de Conakry. Il n’a pas droit de rester à la maison jusqu’au-delà de 7 heures. Sinon, à cause des embouteillages, il peut perdre trois heures sur le trajet et consommer près de cinq litres d’essence supplémentaires.  Pour éviter d’arriver en retard au bureau, il se réveille souvent à cinq heures du matin. «C’est stressant. J’arrive souvent au bureau fatigué », se plaint-il. « Mon patron me trouve parfois moins productif. Ça lui fait mal, mais ce n’est pas de ma faute », raconte Sidibé.

Roger Loua, lui, a l’impression de travailler que pour le transport et le logement. Venu de N’Zérékoré, région située à plus de 1000 kilomètres de Conakry, ce calligraphe de 31 ans a souvent du mal à joindre les deux bouts. Avec son revenu mensuel qui excède rarement  deux millions GNF (environ 200 euros), il paie journellement six mille francs guinéens pour l’aller-retour d’Enta à « En ville » (nom qui désigne Kaloum). Au frais de transport s’ajoute le loyer qui  est passé de 600 mille à 800 mille francs (environ 80 euros) depuis janvier 2018 et la nourriture familiale. « Je paie 800 mille francs pour une maison de deux chambres salons, qui n’a même pas de douche interne ni de cuisine… Parfois, comme je n’arrive pas à épargner, je me dis qu’il serait mieux d’aller vivre en province », s’indigne-t-il.

Des experts croient que les frais de  transport élevés ont aussi une incidence sur les prix des denrées alimentaires, un autre casse-tête pour les Conakrykas. «Si les denrées alimentaires sont chères, c’est parce que les infrastructures routières entre Conakry et les zones de production rurales ne sont pas suffisantes. Mais aussi, la déficience des infrastructures routières urbaines rend le transport des marchandises coûteux à Conakry », estime Madani Dia, secrétaire exécutif de la Plateforme de concertation du secteur privé guinéen, dans une analyse sur l’urbanisation « sauvage » de la ville de Conakry. «Au final, vous trouverez que chaque quartier de Conakry a son prix des denrées alimentaires. Or, les citadins qui doivent payer cher ces denrées n’ont pas d’emploi ou sont mal rémunérés », poursuit-il. Et d’ajouter : « au-delà des ménages, les caractéristiques actuelles de la ville de Conakry n’encouragent ni les investisseurs, ni la création  d’entreprises

Madina et en Ville

À cause des frais quotidiens prohibitifs de transport, nombreux sont des Conakrykas qui ne peuvent même pas se permettre d’emprunter le taxi. Pendant les  heures de pointe, ils doivent s’entasser dans des minibus pour joindre  Madina ou Kaloum. Le premier est le plus grand centre commercial de la capitale, alors que le second abrite le palais présidentiel,  les ministères, les banques, les chancelleries, plusieurs institutions républicaines, le port autonome… Beaucoup de Conakrykas aimeraient avoir des habitations dans (ou près) de ces deux pôles d’attraction. Sauf que trouver du logement dans ces endroits relève de la chance. Et, le candidat à la location doit le plus souvent soustraire le confort dans ses critères de choix.  Dans cette situation, les luxueuses villas et autres immeubles qui sortent de terre et parsèment la capitale guinéenne depuis le début de la décennie courante, n’ont logiquement pour preneurs que les fonctionnaires internationales, les hauts cadres de l’administration, les riches hommes d’affaires… « Il m’a fallu cinq mois pour trouver un logement (un appartement de trois chambres) un peu décent. C’est-à-dire accessible, desservi en eaux et en électricité », raconte Abdoulaye Barry, employée d’une banque de la place.

Si Abdoulaye Barry a eu cette habitation à Minière, c’est parce qu’il s’est plié au critère du bailleur. Celui-ci exige un loyer mensuel non négociable de deux millions de francs, une avance de cinq mois, un locataire marié et qui n’a pas une large famille. «C’est vraiment cher,  mais l’essentiel pour moi était d’éviter les quartiers enclavés ou ceux qui sont très distants de Kaloum », se résigne-t-il.

Mais tout le monde n’a pas les moyens de Barry. C’est le cas de Youssouf Sakho et sa famille de huit membres. Ils sont entassés dans une vieille maison de deux chambres, située dans le quartier populaire de Hafia.

La Nouvelle Conakry

Le gouvernement entend répondre à la préoccupante question de loyer en investissant dans la construction des logements sociaux. Les travaux de 20 000 logements sociaux, composante d’un grand projet de construction de quelque 120 000 logements sociaux dans la banlieue de Conakry, ont donc été lancés par le président Alpha Condé en fin avril dernier. Le gouvernement mise aussi sur ce projet pour reloger un grand nombre de Conakrykas et reconstruire la capitale. En effet, plusieurs Guinéens, y compris le président Alpha Condé ne sont pas fiers de l’aspect de leur capitale insalubre, engorgée et désorganisée. D’ailleurs, Alpha Condé ne rate jamais l’occasion pour  rappeler que lors d’une visite de son homologue turc  Erdogan en Guinée, celui-ci lui avait dit que « Conakry n’est pas une ville…»

La modernisation de Conakry va se faire avec le projet ‘’Grand Conakry vision 2040’’. Si l’Union Européenne a voulu financer l’étude de ce projet, c’est à cause « des dysfonctionnements constatés (congestion urbaine, inondations, pollution, inégalité sociale etc.) croisés avec les perspectives de pression démographique et d’exode rural qui font craindre un doublement de la population en 2040 ».  Un doublement qui pourrait s’accompagner d’une aggravation des conditions de vie des habitants…

«L’enjeu de Grand Conakry Vision 2040 dépasse le cadre de la ville-capitale et engage aussi le développement de la Guinée », mentionne une note synthèse de l’Union Européenne sur le projet.

La nécessité de réaménager Conakry résulte d’une urbanisation qui n’a pas suivi le rythme de la concentration des populations guinéennes à Conakry. De 4 000 en 1900, Conakry compte aujourd’hui près de 3 millions habitants. Pourtant, à part la commune de Kaloum – le seul endroit de la capitale où on trouve avenue et  boulevards –fondée par le colon français en 1899, la quasi-totalité du reste de la capitale a échappé aux  différentes planifications. «Il y a eu du retard dans la planification », déplore Ibrahima Camara, le directeur national de l’Aménagement du territoire et de l’Urbanisme. En 1962, après l’indépendance du pays,  un premier plan d’aménagement fixait la limite de la ville de Conakry à Gbéssia et Hambdallaye. Soit sur une superficie de 2200 hectares et une longueur de près de 12 kilomètres. Mais, au début des années 80, le libéralisme économique couplé à l’exode rural font accélérer davantage l’expansion de la ville.

Avec l’appui de la Banque Mondiale, le premier projet de développement urbain, lancé en 1985, aboutit  à un premier schéma directeur promulgué en 1988. La ville s’étend alors sur 43 kilomètres, allant de Kaloum jusqu’au pied du mont Kakoulima, dans la localité de Dubréka. « Ce schéma donnait les orientations du développement de la ville. Des transversales et des voies pénétrantes, mais aussi des zones industrielles et d’habitation  ont été créées ou prévues…», explique Ibrahima Camara avant de déplorer le fait que l’Etat ne s’était pas donné les moyens pour faire respecter ce schéma. Conséquence, la ville a évolué dans un désordre total, tandis que le réseau routier de la capitale se résume à deux axes principaux – conforme à la forme linéaire de la ville – qui se rejoignent par une douzaine de transversales. Des voiries que l’Etat peinent à entretenir et qui sont pour la plupart impraticables durant la saison des pluies.

Dans la banlieue de Conakry, les maisons ont été construites si proches les unes des autres qu’elles ne peuvent pas permettre de faire de nouvelles rues. A moins d’en démolir. Ces quartiers engorgés rendent même difficile la desserte en eau. L’autre réalité, c’est que plusieurs quartiers restent déconnectés les uns des autres.

Par ailleurs, Comboss, la plus grande décharge publique est restée au centre de Conakry et devenue une véritable cause de maladie dans la ville, notamment pour ses riverains. En 2017, l’éboulement d’une partie de cette décharge a même causé la mort d’une dizaine de riverains.

Grâce à l’appui de l’Union Européenne et de l’ONU-Habitat, la Guinée attend cette année le nouveau schéma directeur de la ville de Conakry. Celui-ci devrait faciliter l’exécution du Grand Conakry 2040, le projet de tous les espoirs. «De toutes les façons, nous sommes obligés de développer Conakry », estime Ibrahima Camara qui reste convaincu que « la bataille du développement durable sera gagnée ou perdue dans les villes.» Mais, des architectes nationaux émettent souvent des réserves sur le projet de réaménagement de Conakry. Ils accusent le gouvernement « d’omettre  » leurs expertises pour confier le plan d’aménagement à des experts internationaux qui ont conçu « un projet pas adapté à la situation guinéenne ». «Tout projet qui s’inscrit aujourd’hui dans le cadre de l’amélioration du cadre de vie des Guinéens est à apprécier. Mais une fois, il faut le faire avec ceux qui ont l’outil technique local et qui peuvent apporter pas mal d’informations pour la réussite de ce projet », réagissait, en novembre dernier, l’architecte Alpha Oumar Diallo.

Quoi qu’il en soit, en attendant un réaménagement de la capitale, l’actuelle Conakry continue à appauvrir populations et à freiner l’expansion des entreprises. D’ailleurs, il ressort d’un récent rapport de la Banque Mondiale  titré « Les défis de l’urbanisation en Afrique de l’Ouest » que Conakry qui réalise 27% de la richesse de la Guinée, ne joue pas  pleinement son rôle  de moteur de croissance. Depuis 2010, la population de Conakry croit à un rythme effréné, mais elle « n’est pas suffisamment préparée pour absorber les migrants dont la plupart sont issues de l’exode rural ».  Pour la réforme de la capitale guinéenne, la Banque Mondiale préconise de donner la priorité à  une meilleure connectivité entre le centre-ville et sa périphérie.

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