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Dossier-Les marchés de Conakry comme des porcheries à ciel ouvert : que fait-on des milliards de recettes qu’ils génèrent ?

La capitale Conakry compte 72 marchés officiels, tous directement gérés par les différentes mairies. Ces marchés qui drainent du monde et des milliers de devises chaque jour, végètent dans les ordures et dans le désordre. De vraies poubelles à ciel ouvert où pataugent les visiteurs et les commerçants qui s’y rendent. Comment sont organisés ces marchés ? Qui sont les acteurs ? Et où vont les milliards recettes qu’ils génèrent chaque jour ?

Nous vous faisons d’abord découvrir en exclusivité les coulisses du marché de Madina, le plus grand centre commercial de la capitale, ensuite vous plonger dans l’envers du décor dans cette enquête inédite.

 Grand marché de Madina : une poubelle à ciel ouvert où transitent des milliards de devises !

Des sacs d’argent transportés sur la tête, des magasins de dépôt d’argent en espèces sonnantes et trébuchantes, des bureaux de changes pleins de devises qui côtoient des bacs à ordures aux odeurs nauséabondes, des marchandises déposées à même le sol, des pousse-pousse remplis de cantines de francs guinéens en mouvement dans tous les sens, des taxis-motos qui obstruent les passages, des vendeurs ambulants et à la criée qui hurlent à vous déchirer les tympans … Voilà le décor qui s’offre à tout visiteur qui se rend sur ce marché. Madina est un monde à lui seul, un monde à part. Un centre d’affaires par excellence où transitent plus d’un million et demi de personnes qui réalisent des centaines et des milliers de transactions tous les jours. La Mairie estime qu’on n’y échange pas moins 350 milliards gnf par mois. On y trouve tout : du vivre, de la viande fraiche, l’électroménager, des téléphones, du cosmétique et même des médicaments interdits à la vente, des dépôts d’argent, des habits, des chaussures…

Tenez ! nous sommes à l’entrée du marché de Madina, sur le pont. Des bacs à ordures sont détectables à l’odeur. Il est treize heures et ils sont pleins à craquer. L’odeur puante est le premier cadeau accueil. Pourtant, les commerçants rencontrés assurent que la veille ils étaient vides. « Il n’est pas facile de travailler ici étant adossées à cette poubelle. Mais comme on n’a pas de place, on est obligé », a fait savoir une vendeuse de friperie. Juste à côté, Mabinty vend les habits des enfants. « Mon frère, nous sommes ici depuis des années. L’odeur-là est devenue notre parfum. Si tu ne sens pas, c’est ton corps qui te démange. On va à l’hôpital et on revient », soutient avec résignation dame Mabinty.  Proche d’un autre bac à ordure, le jeune Sény  s’est installé il y a deux ans avec un kiosque de réparation des téléphones. « Il faut dire que chaque semaine, les camions de ramassage passent et vident les bacs à ordure. Mais quelques jours après, les bacs débordent et les déchets se déversent à terre », révèle le réparateur de téléphone avant de continuer. « On tombe malade, on se soigne. C’est comme ça. C’est la place que j’ai eue pour chercher un peu d’argent », dit-il d’un air désolé. « Nous sommes habitués. Ce sont ceux qui cachent leur nez qui souffrent ! », conclut-il.

A côté des bacs, c’est une souris morte ici, des margouillats écrasés par-là, des poulets et œufs pourris qui jonchent le sol, de l’eau stagnante venant d’une vendeuse de poissons, une foule de gens qui passe et repasse avec des pousse-pousse, le tout dans une pestilente à réveiller un mort.  Au niveau du marché « Avaria, récemment rebaptiser le marché du changement », les sachets plastiques jonchent les trottoirs déjà dégagés en 2017. Cet endroit n’est pas beau à voir.  Surtout en temps de pluie, des ordures et de l’huile de moteur rejetée par les minibus se mélangent à la boue et recouvrent la route. La décharge qui y est déposée, reste continuellement à ciel ouvert. « Ce dépotoir pollue l’air ambiant du coin. Les riverains sont exposés à risques de maladie », déclare Lamarana B. Les trois coffres déposés sur le tronçon qui conduit à l’intérieur du marché pour recueillir les ordures sont pleins à craquer. Les déchets provenant du marché sont déversés à même le sol et sur la voie publique. Sous l’effet de la pluie et du soleil, ces ordures dégagent une odeur nauséabonde voire insupportable, toute chose qui ne manque guère de causer des désagréments aux usagers de cette voie.  Tous ceux qui ont le malheur de passer par cet endroit aussi bien des commerçants, automobilistes que des piétons sont obligés de se boucher les narines ou suspendre momentanément leur respiration, le temps de le dépasser.

Au bas de ces coffres, on découvre plusieurs asticots qui pataugent dans le liquide provenant des restes alimentaires, une véritable scène à vous faire frémir. Les grosses mouches noires, n’en parlons pas, dans un ballet incessant vous démontrent qu’elles sont les seules maîtresses de cet endroit.  John, un jeune homme agent des services de ramassage, apparemment épuisé et découragé avec une pelle à la main, tente vainement de ramasser les détritus. Selon lui, plusieurs raisons expliquent ce désastre : l’indiscipline de certains commerçants et le retard des services de ramassage.

A vrai dire, le marché de Madina est à l’image des autres de la capitale, sujet à polémique et ressemble à tout sauf à un marché. Le désordre est total et des commerçants qui défient l’autorité municipale, y ont créé des clans pour bien narguer la mairie. Le marché est devenu un « no man’s land » où les gros bras sont devenus maîtres des lieux. Malgré la volonté des autorités qui tentent de remettre de l’ordre, le cafouillage règne toujours. Les allées sont prises d’assaut par les commerçants qui refusent d’occuper les magasins et autres espace aménagés à l’intérieur du marché. Ils ont installé des tables sur les bouches d’incendie. D’ailleurs voilà les raisons de plusieurs incendies.

Floraison des bureaux de changes !

Tous les centres commerciaux que compte Madina abritent des bureaux de changes avec des coffres-forts bien garnis.  Des sacs d’argent y atterrissent et y sortent chaque minute. Interrogés, les agents qui ont accepté de répondre à notre curiosité, nous apprennent que ce sont des centaines de milliers de transactions qui sont réalisées en ces lieux chaque jour que Dieu fait. A la question de savoir pourquoi ne pas domicilier tout cet argent dans les banques, on nous apprend qu’avec le système bancaire, les commerçants et autres hommes d’affaires perdent beaucoup de temps pour entrer en possession de leur argent : « les gens refusent d’aller à la banque. Ça prend trop de temps. Quand on a besoin de faire un retrait d’un montant important, on perd un temps fou dans les locaux de la banque. Donc les gens préfèrent déposer leur argent dans ces agences ou bureaux de changesC’est plus pratique pour un homme d’affaires qui a besoin à tout moment de l’espèce ». Ce sont des montagnes d’argent qui sont dans les caveaux de fortunes installés dans le sous-sol des centres commerciaux.

Au grand marché de Madina, comme dans la plupart des grands marchés de la capitale, l’argent coule à flot au détriment des banques de la place. « Je vous apprends que l’argent qui circule à Madina est plus que dans les banques. Certaines viennent ici pour se ravitailler en devises.  Ces commerçants que vous voyez assis dans la boue là, manipulent des milliers et des milliers de devise dans la journée. Si le Port Autonome de Conakry est le poumon de l’économie nationale, le grand marché de Madina reste le cœur de l’économie du pays », nous précise notre interlocuteur.

Les grands carrefours de Conakry : des marchés en plein air !

Les vendeurs ambulants, appelés communément « Bana-bana », ont transformé les grands carrefours de Conakry en de véritables lieux de commerce : tables, postes de télévision, vêtement, jouets d’enfant, produits vivriers, fer et table à repasser, montres, bracelets, chaussures, tapis de sol et de voiture, moquettes etc. La liste n’est pas exhaustive. Ne vous y prenez pas ! Vous n’êtes ni dans un magasin, ni au grand marché. C’est plutôt le décor que vous présente les grands carrefours de Conakry. A ces endroits, des jeunes marchands ambulants, pour la plupart analphabètes proposent des articles de tous genres aux automobilistes de passage. C’est pratiquement le même spectacle que l’on retrouve au carrefour de Bonfi, de Dabondy-Kondebounyi, aux carrefours de Hamdallaye,  de Cosa, et d’Enta  pour ne citer que ceux-là.

Mais d’où proviennent ces articles ?

Les sources d’approvisionnement sont diverses. A Madina tout comme à Enta, des jeunes vendeurs nous ont laissé entendre qu’ils s’approvisionnent dans les boutiques ou magasins appartenant à des commerçants auxquelles ils achètent la marchandise pour la revendre ensuite. Certains propriétaires de magasins également proposent aux « Bana-bana » de revendre pour eux certains articles pour vite les faire écouler sur le marché, et cela, moyennant rémunération. « Nous prenons des échantillons de marchandises avec des entreprises que nous vendons », nous explique un marchand de tapis.

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Le souhait des vendeurs des grands marchés de Conakry 

Le plus grand souhait des vendeurs que nous avons interrogés sur les marchés visités, est de pouvoir obtenir une place sur les marchés. Mais ceci est loin d’être acquis. Tout dépend de la nature de leur activité, leur ethnie, leur nationalité et leur situation dans le secteur informel. Les facteurs d’exclusion sont innombrables et jouent à plein dans la situation d’un aménagement de marché, s’ils obtiennent une place. Le second souhait des commerçants est de pouvoir payer les redevances. Ce qui est loin d’être gagné pour les commerçants aux petits capitaux et aux artisans. Le troisième souhait est de disposer des services comme la sécurité, c’est-à-dire avoir le marché clôturé, l’éclairage nocturne, une police efficace… Il y a aussi l’approvisionnement en eau potable ainsi que les équipements sanitaires (latrines et les douches). Leur quatrième souhait est celui d’être dans des marchés couverts et surtout installés ceux qui, pour des raisons diverses, n’ont d’autres terrains d’exercice que la rue.

La gestion et l’organisation des marchés de la capitale

Gérés au départ par le ministère de la l’Administration du Territoire, le Gouvernorat et le ministère du Commerce, les marchés de la capitale sont désormais gérés par les mairies aussi bien pour l’aménagement et l’entretien que par le recouvrement des droits de places. C’est ce qu’il nous a été donné d’entendre par les administrateurs des marchés que nous avons visités.

Ainsi nous avons des services techniques qui ne s’occupent que de façon marginale de la gestion des équipements marchands.  Il y a ensuite la trésorerie générale de l’Etat qui est aussi celle de recettes publiques. Le recouvrement des taxes est dans la plupart des cas, selon nos interlocuteurs, assuré en régie par des collecteurs intervenants sous l’autorité du receveur et sous le contrôle de la mairie. Et enfin d’autres services comme les services d’hygiène et la police.

Nos marchés sont-ils en sécurités ?

Sûrement pas. A écouter les commerçants, les marchés de Conakry sont exposés aux incendies, au vol, aux pillages et aux actes de vandalisme quand il y a des mouvements de grève ou des manifestations politiques sans oublier les inondations pendant la saison pluvieuse. Et cela est devenu un casse-tête chinois pour ces acteurs de l’économie nationale et les responsables. « C’est Dieu qui nous protège. Nous ne sommes pas en sécurité. Une fois à la maison, on ne ferme plus l’œil toute la nuit. Nous sommes à chaque fois victimes des cas de vol, de cambriolages, des scènes de pillages et de vandalisme quand les bandits profitent des manifestations politiques ou sociales. Vous savez vous-même que l’année dernière le marché d’Enta et celui de Madina ont été ravagés par des incendies causés par les courts circuits ! Tout était parti en fumée ! Et rappelez-vous aussi de 2010 et 2015 lors des présidentielles, des loubards vandales ont profité de la crise politique pour piller une partie du marché de Madina. Quand il y a de fortes pluies, nous ne sommes pas non plus épargnés. Voyez-vous où est la sécurité ? Les agents de police et les vigiles que nous avons ici n’arrivent même pas à contenir les embouteillages des motos et des véhicules. Ils passent leur temps à racketter les automobilistes », déplore Elhadj Mamoudou, commerçant à « Madina Enipra » depuis 1991

Interrogé sur cette insécurité qui préoccupe les commerçants, l’un des responsables du grand marché de Madina qui a bien voulu garder l’anonymat, soutient qu’il existe bel et bien des services de sécurité dans les marchés. « Nous avons ici la gendarmerie, la police, des vigiles employés par les privés. Ceux-ci font leur travail comme il se doit. Imaginez les transactions qui se font ici ! Ces commerçants peuvent avoir le courage de garder ces milliards ici tous les soirs s’il n’y a pas des agents de sécurité ? Certes souvent les pompiers arrivent trop tard en cas d’incendie. Mais même quand ils arrivent à temps, il n’y aucun passage.  Vous parlez des pillages et quoi encore ? Mais écoutez ! Face à ces genres de mouvements populaires, nous sommes tous désemparés ! Grève, mouvements politiques, soulèvements populaires, ce n’est pas avec ce nombre de gendarme que nous allons y faire face !  Ce n’est pas possible. Et puis, nous avons toujours demandé à ceux qui ont de grosses sommes d’argent ici dans les boutiques d’aller les déposer à la banque. Ils ne nous écoutent pas ! C’est quand ils sont victimes ils viennent se présenter à nous. C’est dommage ! »

Que font les responsables des grands marchés de Conakry face à l’insalubrité ?

Après notre constat sur les dix plus grands marchés de la ville de Conakry, nous nous sommes tournés vers les administrateurs de ces marchés qui ont tous porté un doigt accusateur sur les vendeurs, les commerçants avant de nous dire : « les efforts fournis » chaque jour. « Depuis quelques jours, la société Turque de ramassage des ordures avec laquelle la commune a signé un contrat, notre marché est bien entretenu. Regardez vous-mêmes ! Les bacs à ordure sont vides depuis 5heures du matin. Nous n’avons plus de problème en lien avec cette situation. Notre seul problème ici au marché Niger, c’est celui des mendiants qui squattent sur les étals des commerçants la nuit. Leur présence a entrainé les clochards et les fous de la commune. Ils défèquent et urinent partout… Nous avons écrit à la mairie qui nous demande de nous adresser plutôt au ministère de l’Action Sociale. Nous avons écrit à la ministre de l’Action Sociale qui ne nous a pas encore répondu.  Sinon, faites le tour du marché. C’est la propreté. » Nous dira Lansana Bangoura, l’administrateur du marché Niger dans la commune de Kaloum, contrairement à celui de Madina qui a fait le faux-fuyant en se déchargeant sur les vendeurs qui, selon lui, déversent les ordures par terre au lieu de les mettre dans les bacs à ordures. « Les camions passent tous les soirs et même les matins pour ramasser les ordures. Mais les commerçants jettent les ordures partout sans tenir compte des points de collecte installés dans les marchés. N’oubliez pas aussi que nous avons le plus grand marché du pays ! Combien de personnes fréquentent Madina par jour ? Donc il va s’en dire que nous produisons des tonnes et des tonnes d’ordures par jour. Et avec les moyens insuffisants à notre disposition… Comprenez ! On fera de notre mieux. C’est une nouvelle équipe qui vient d’être installée à la Mairie. Donnez-nous le temps », a coupé court A. K  l’administrateur adjoint du marché.

Pour ne se limiter qu’à ces deux intervenants, on se rend compte qu’il y a encore du travail à faire pour voir nos marchés propres.

Mais où vont les milliards collectés sur les marchés de Conakry ?

Selon des indiscrétions, ce sont des centaines de milliers de devises qui transitent par les marchés de la capitale. Du côté des mairies, c’est le même son de cloche. Les taxes journalières et autres frais de location des boutiques peuvent atteindre des milliards par mois. Mais les mauvaises langues se délient pour affirmer que la moitié de ces sommes prennent une direction outre que celle du Trésor public. « Depuis plus de vingt ans, je travaille sur ce marché. Mais je vous apprends que tous les 10 administrateurs que j’ai vus passer, ce sont tous fait des fortunes. Ils se sont fait des châteaux ici en Guinée et ailleurs où vivent aujourd’hui leurs familles.  Ces gens se sont beurrés sur le dos de l’Etat parce qu’il n’y avait pas de contrôle. Vous savez, le secteur du marché échappe à beaucoup de Guinéens. Toutes nos autorités ont les regards braqués sur les mines, le Port autonome et les petits sous que rapportent les passeports alors que les recettes issues des marchés peuvent faire électrifier tout le pays en quelques mois. Les recettes sont partagées entre les collecteurs, les percepteurs, les receveurs commerciaux, les administrateurs des marchés et autres ; C’est une infime partie qui va au trésor public », nous apprend Seydouba qui vend des articles divers au marché Madina.

L’avis que ne partage pas A. K, l’administrateur adjoint qui soutient que les recettes générées sont directement versées au trésor. « Nous travaillons sous le contrôle de la mairie. Regardez ces tickets ! Ils sont émis par le trésor. Les vendeurs payent 500 francs guinéens par jour.  Ces sommes sont collectées par secteurs avec les percepteurs qui les reversent au receveur qui, à son tour, fait le versement à la banque sur le compte du trésor public. Les reçus sont photocopiés avant de les remettre à l’administrateur et au receveur commercial. C’est tout un processus. Jamais on ne touche l’argent espèce. Pour l’heure, nous sommes en phase de restructuration avec la nouvelle équipe qui vient d’être installée. Repassez l’année prochaine et vous verrez », tranche ainsi notre interlocuteur.

Quand nous nous sommes transportés dans les Mairies pour en savoir plus, aucun responsable n’a accepté de répondre à nos questions sous prétexte que les nouvelles équipes installées n’ont pas encore fini de faire l’état des lieux. On soutient de ce côté qu’il est trop tôt de répondre « à ces genres de questions ». Comme quoi, pour connaître les réalités des marchés, surtout leur fonctionnement et leur gestion, il va falloir attendre que les nouveaux commencent le travail.

Dossier réalisé par Louis Célestin 

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