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Guinée : L’ordre constitutionnel idéal pour la révision constitutionnelle

Par Youssouf Sylla, analyste à Conakry.

La démocratie est un système de gouvernance au sens large parmi tant d’autres qui fait la part belle au «démos», le peuple. Il n y a pas un modèle unique en démocratie, il y a plutôt des variantes qui tiennent compte de l’histoire, de la géographie et de tout une foule de particularités propres à chaque État.

On a ainsi des régimes parlementaires, présidentiels et semi présidentiels qui s’appliquent à des États fédéraux ou unitaires, grands ou petits. C’est à chaque État de trouver sa voie et malgré les variantes, le système démocratique repose sur un socle commun : la prééminence de l’Etat de droit, le respect de la volonté du plus grand nombre, la protection des minorités, la défense de la dignité humaine, l’abolition des discriminations non justifiées, la pluralité des courants de penséeet l’égalité des chances pour tous.

Lire ou relire : Au cœur de la souveraineté du peuple : le peuple et son pouvoir illimité de changer sa constitution

Les États dans le monde ne sont pas au même niveau en ce concerne leur adaptation à ce socle commun. Si certains sont à un stade avancé, les autres sont à un stade intermédiaire et d’autres encore à un stade primaire qui les exposent, s’ils ne font pas attention, à un risque d’implosionsociale, tant leur niveau d’adaptation au socle démocratique est faible sans oublier les difficultés de différents ordres qu’ils rencontrent également.

Il y a d’abord les blocages sociaux, la persistance de la mentalité autocratique, un passé autoritaire relativement récent, le mauvais usage des différences entre les composantes culturelles de la nation et une intériorisation insuffisante de la culture démocratique. La Guinée et la plupart de pays en Afrique se retrouvent dans cette dernière catégorie.

Il y a donc tout un travail collectif et individuel à faire pour faire avancer les choses sur le chemin de la construction d’une véritable société démocratique. La proposition d’un ordre constitutionnel idéal applicable au recours au peuple par voie de référendum fait partie de ce chantier.

Mérites et défauts des thèses constitutionnaliste et souverainiste

Après la revue critique de ces deux thèses qui s’affrontent en matière de révision constitutionnelle, qui reposent respectivement sur les intangibilités constitutionnelles d’une part, et d’autre part, sur le pouvoir absolu du peuple de changer sa constitution, on devrait réfléchir sur le meilleur ordre constitutionnel qu’il faut à la Guinée.

En effet, dans ses mérites, le constitutionnalisme porte sur certaines intangibilités qui sontnécessaires pour la vie dans une société démocratique et respectueuse des droits humains. Mais d’autres intangibilités portant par exemple sur l’intouchabilité de la durée du mandat présidentielet son renouvellement au-delà de deux mandatssont à mon avis discutables. Tout  comme l’est aussi l’interdiction de toucher à la forme de l’Etat.

Un débat démocratique sur ces sujets devrait être en principe possible. Il y a une tendance mondiale vers la réduction de la durée du mandat présidentiel et les peuples sont interrogés sur la question. La France et le Sénégal à l’issue de différentes révisions constitutionnelles ont ramené cette durée à 5 ans alors qu’elle était de 7 ans. Il n’est donc pas contre indiqué en démocratie, qu’un peuple puisse être consulté sur la durée qu’il juge optimale pour celui ou celle qui incarne le pouvoir exécutif. La durée raisonnable est nécessairement fonction des réalités de chaque pays. Dans d’autres pays comme aux Etats Unis d’Amérique, il est encore plus court, 4 ans. Or les défis d’unprésident américain se sont pas seulement planétaires, ils se déroulent aussi dans l’espace.

En ce qui concerne le renouvellement plus de deux fois du mandat présidentiel, il convient d’observer, au-delà de l’émotion que suscite une telle question en Guinée quand on fait directement référence à son histoire politique, que cette pratique n’est pas en soi contraire à la démocratie. Dans certains pays à forte tradition démocratique, le Royaume Uni, le Canada, l’Australie, l’Allemagne en occurrence, il n’y a pas de limite au renouvellement du mandat du chef de l’exécutif. Il reste à son poste autant de fois qu’il bénéficie de la confiance de son peuple à travers un vote démocratique libre et transparent. Mais dans les pays à faible ancrage démocratique comme la Guinée avec, au surplus, une longue tradition autocratique, il y a un risque de faire sauter ce verrou. Il faudrait encore du temps, que la culture démocratique s’installe et que l’alternance au pouvoir rentre dans les mœurs pour pouvoir entamer avec la sérénité requise un débat sur cette intangibilité justifiée pour l’instant par lerisque de confiscation définitive du pouvoir. Ce risque plaide certainement en faveur de l’insertion dans l’ordre constitutionnel idéal d’une intangibilitéinterdisant au dernier président en exercice de se faire prévaloir de la disposition constitutionnellerelative au renouvellement du mandat présidentiel.

Ensuite, la question de la forme de l’Etat devrait être librement débattue en démocratie. Dans certains pays comme la France, cette intangibilité se justifie par la crainte de retour à la monarchie, ce qui n’est certainement pas le cas de la Guinée qui n’a jamais connue cette forme de gouvernance. La réalité socio culturelle de la Guinée, sa diversité, mais aussi les limites de son système exécutif hautement centralisé, source, comme on le constate depuis de longues années, de convoitise meurtrière du pouvoir central,synonyme de main mise totale sur les richesses nationales, commandent qu’un débat soit ouvert la forme d’État qu’il convient : un Etat central avec un renforcement sans précédent de la décentralisation ou un État fédéral reposant sur une répartition claire de compétences entre l’entité fédérale et les entités fédérées ?

Quant à la thèse de la souveraineté du peuple elle a le mérite de favoriser la démocratie directe souvent dans un contexte où le fossé se creuse entre les populations et leurs représentants à l’assemblée nationale. Elle a l’avantage de rendre le peuple maître son destin. Mais il faut se méfier du recours abusif au référendum et des risques de sa manipulation par ceux qui décident d’y recourir pour dans le seul but de réaliser un objectif politique personnel et non pour permettre au peuple de se prononcer sur les enjeux majeurs de la vie publique. A juste titre, certains invitent à ce propos les gouvernants à rationaliser le recours aux procédures référendaires.

La solution constitutionnelle

C’est le lieu de faire la synthèse entre les mérites des deux thèses à l’intérieur dune solution constitutionnelle plus équilibrée, ouverte et adaptée au contexte guinéen. En effet, autant il est nécessaire de rendre le peuple, premier responsable inconditionnel et perpétuel de son destin en lui permettant par exemple de décider par un référendum sur la forme (unitaire ou fédérale) de l’Etat qu’il souhaite, de la durée et du contenu du mandat présidentiel, autant il convient aussi de le garantir à vie à travers certaines intangibilités contre la régression démocratique, la dictature et la remise en cause des libertés fondamentales.

La combinaison des mérites du constitutionnalisme et du souverainisme populaire apparaissent en définitive comme les éléments constitutifs d’une solution constitutionnelle équilibrée et ouverte en matière de révision constitutionnelle. Elle est durable et gage de la stabilité institutionnelle.

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