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Hausse des taxes sur l’alcool et le tabac: En attendant la fumée…blanche

La situation économique de la Guinée a de quoi désespérer. Malgré ses richesses et nombreuses potentialités, le pays peine à prendre son envol. La gouvernance économique est de plus en plus dénoncée par les citoyens. Dans une série de 7 articles, Le Lynx vous propose de creuser quelques sujets liés à cette gouvernance. Des enquêtes réalisées avec l’appui d’OSIWA (Open Society Initiative for West Africa).

Après avoir longtemps hésité, la Guinée se dirige vers une augmentation des droits d’accise sur le tabac et l’alcool. Manière de se conformer aux normes de la CEDEAO et aux exigences des institutions de Breton-Woods. Reste à faire face aux courroux des brasseurs et des importateurs du tabac. Enquête.

Un jardin verdoyant de manguiers, d’orangers, de patates, de manioc, des chants d’oiseaux … Un endroit calme et paisible à redonner le goût de vivre à ceux qui, en vain, noient leurs soucis dans une bouteille, en fumant un joint ou une cigarette. En 2017, une équipe pluridisciplinaire (médecins, sociologues, juristes, activistes de la société civile) a ouvert à Dabompa (Matoto) le siège de la clinique SAJED (Service d’aide aux jeunes en situation difficile par la drogue). Objectif : accueillir, traiter et réinsérer des jeunes toxicomanes et drogués.

A l’intérieur de la clinque, notre regard s’arrête sur trois patients couchés sur des matelas étalés à même le sol. Parmi eux, Sako, 26 ans, diplômé. « Je me parlais et riais tout seul dans ma chambre, j’avais des maux de tête, mon taux de sucre est élevé, je suis hypertendu, explique-t-il. Je prenais toute sorte de drogue. Mon père a eu l’idée de m’emmener ici. Après mon traitement, j’ai recommencé à fumer. Je ne prenais pas convenablement mes médicaments. Raison pour laquelle on m’a ramené encore. Maintenant je n’ai que des vertiges à cause des médicaments que je prends ». 

Sow, 23 ans, étudiant, confesse, après exercice de persuasion, avoir fumé du cannabis. « Je ne dormais pas, je me bagarrais avec mon petit-frère. J’ai retrouvé le sommeil depuis que j’ai commencé à suivre le traitement. Cela fait quatorze jours que je suis là et je n’ai pas fumé. Je le faisais pour oublier mes soucis : mes parents ne m’ont pas envoyé étudier en Europe. J’ai séché les cours, sans m’en rendre compte. Je compte abandonner la drogue et retourner à la fac ».

Des ados dépendants

 « Nous recevons des jeunes qui sont dans des états d’agitation, d’autres dépressifs ou encore qui veulent abandonner les substances psychoactives. Nous traitons des troubles psychiatriques de tout genre : la dépression, la manie, schizophrénique et le sevrage en alcool, cannabis, la cigarette qui fait partie des drogues mineures en raison de la dépendance. Les cas de cocaïne sont très rares », explique Dr Marie Koumbassa, médecin addictologue à la clinique SAJED. Si la tranche d’âge des patients varie entre 14 ans et 45 ans, les plus nombreux sont les adolescents qui, souvent, retombent dans les travers après leur traitement. « 90 % de nos malades viennent de l’intérieur du pays : Boké, Labé, Fria…J’ai reçu trois patients de 11 ans qui ont inhalé de l’essence et fumé du cannabis ».

Le lieutenant Dalton Loua, laborantin à la clinique SAJED, analyse en laboratoire dix sortes de drogues dont, outre celles précitées, le tramadol à la fois antalgique et drogue bon marché, en vente libre. Maigres moyens, médicaments coûteux et rares, la capacité  d’accueil de la clinique (onze lits) est inférieure à la forte demande. Et le tabagisme est aujourd’hui un problème de santé publique préoccupant.  

La CEDEAO, plus exigeante

La 79e session ordinaire du conseil des ministres de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest, tenue à Abuja les 13 et 14 décembre 2017, a recommandé l’harmonisation des droits d’accise sur les produits du tabac dans l’espace CEDEAO. « Les Etats membres soumettent les produits du tabac aux droits d’accise, composés obligatoirement d’un droit ad valorem et d’un droit spécifique », précise l’article 6 de la convention. L’article 8 renchérit, le taux d’imposition doit être « supérieur ou égal à 50 % » du prix.

A titre comparatif, ce taux atteint 75 % au Maroc, contre 16 % en Guinée qui a ratifié la convention de la CEDEAO sur la hausse de la taxation du tabac. Les Marocains sont pourtant les plus gros fumeurs des citoyens de la CEDEAO (19% de taux de prévalence du tabagisme chez les adultes), à égalité avec les voisins léonais, selon des données de l’OMS.

Pourquoi la Guinée traîne le pas ?

Selon des témoignages non confirmés, sous feu Lansana Conté, les importateurs du tabac s’engageaient à verser annuellement à l’Etat une certaine somme d’argent pour éviter des taxes exorbitantes. Ce genre de corruption et de pression ont dû survivre, croient les activistes de la société civile qui luttent contre le tabagisme. « Il y a un lobby qui bloque tout projet d’augmentation des taxes sur le tabac. Si les autorités parlent de l’augmentation des droits d’accise, ils traînent cependant le pas. Elles n’en font pas une priorité. Toutes les mesures prises jusque-là pour freiner la consommation du tabac n’ont pas abouti. Il faut augmenter les taxes sur le tabagisme. En France, beaucoup quémandent une mèche de cigarette parce qu’ils n’ont pas 10 euros pour acheter le paquet », explique Ibrahima Sory Cissé de l’ONG Génération sans tabac.

« C’est le seul pays de la sous-région où le prix moyen d’un paquet de cigarettes est de six mille francs guinéens. C’est inconcevable que le tabac et l’alcool soient taxés de la même manière que les denrées de première nécessité, les produits alimentaires de base. Or, la taxe sur le tabac est un moyen de renflouer les caisses de l’Etat », rappelle Yamoussa Bangoura, coordinateur du Service d’aide aux jeunes en situation difficile par la drogue (SAJED). « Nous comptons saisir l’Assemblée nationale afin qu’elle s’implique pour que les normes CEDEAO soient intégrées dans notre législation, renchérit-il. Il y a sûrement des tracasseries liées à la hausse des taxes. C’est une question de gros sous et de gros bonnets, mais l’intérêt de la nation guinéenne doit prévaloir. Lutter contre ce fléau, c’est préparer l’avenir des jeunes guinéens ».

Mauvaise nouvelle pour les fumeurs et buveurs

Les autorités peaufinent un nouveau code général des impôts pour se conformer aux normes CEDEAO en matière de taxation du tabac et de la bière. A la Direction nationale des impôts, ils sont peu à disposer du doc, très peu consentent à en divulguer le contenu avant son adoption en conseil des ministres. Ce qui ne saurait tarder, la lettre de transmission au gouvernement a été rédigée depuis juillet, confie une source proche du dossier. Si le tabac satisfait aux exigences de la CEDEAO (50 % de taux de taxation), les droits d’accise sur l’alcool sont à 47 %.

Une fois adopté par le gouvernement, le projet de code sera soumis au vote des députés à l’Assemblée nationale, probablement lors de la session parlementaire en cours qui, au terme de l’article 75 de la nouvelle Constitution, s’étale désormais de manière continue du 5 octobre au 4 juillet.

« Nous avons récemment fait un exposé de motifs au ministre du Budget qui, à son tour, devrait présenter le projet en conseil des ministres. Il devrait certainement être examiné à l’Assemblée nationale d’ici le 31 décembre », se veut optimiste un cadre de la Direction nationale des impôts qui a souhaité garder l’anonymat.

L’avant-projet de loi portant code général des impôts a été examiné en conseil interministériel mardi 17 novembre. C’est « le résultat du travail d’une Commission qui a regroupé des cadres de l’administration et des représentants de plusieurs branches du secteur privé guinéen. Cette Commission s’est réunie quotidiennement de mai 2018 à décembre 2019 et a bénéficié de l’assistance technique du Fonds monétaire international, ainsi que du partage d’expériences avec plusieurs pays de la sous-région », a déclaré à l’occasion Ismaël Dioubaté, ministre du Budget. Parmi les innovations en matière de fiscalité, il a noté, entre autres, que « les droits d’accise ont été totalement révisés, notamment pour harmoniser les droits sur le tabac. De nouveaux droits d’accise ont été créés notamment sur les sodas, les boissons énergisantes, les sacs et emballages plastiques, les produits de blanchissement pour la peau, l’eau désalinisée et l’eau purifiée ».

Après l’exposé des motifs du ministre du Budget, le conseil interministériel a décidé que l’adoption de l’avant-projet de loi par le conseil des ministres soit actée qu’après un atelier de validation. Le lieu et la date de l’organisation de cet atelier ne sont pas encore fixés. « Le projet de code est très volumineux : il comprend 329 pages. Du point de vue de son importance, il doit être dans le top 5 des textes les plus importants. C’est très rare qu’un texte pareil passe dès la première lecture. Son adoption pourrait soulever assez d’objections. Le code des marchés a par exemple pris deux ans avant d’être adopté », confie une source proche de la Présidence.

En attendant, la loi des finances 2020 avait déjà annoncé les couleurs. En son article 8, on peut lire : « La taxe sur les boissons alcoolisées est applicables aux bières et autres boissons alcoolisées produites en République de Guinée. La taxe est fixée à 15 % du prix de vente hors taxe. Ce taux est applicable pour compter du 1er janvier 2020 ».

L’article suivant renchérit à propos des droits d’accises sur les produits du tabac : « Les importations de cigarettes sont soumises au droit d’accises au taux de 30 % de la valeur CAF (coût du produit, plus frais de transport et d’assurance, ndlr) à compter du 1er janvier 2020 ». Outre la cigarette, divers autres produits du tabac, à fumer, mâcher, à priser, tabac presse ou sauce (excusez du peu !) sont soumis à cette imposition.

La carotte et le bâton

En matière d’imposition, la Loi des finances 2020 est une avancée par rapport à celle 2011 appliquée jusque-là. Celle-ci prévoyait des droits fixes au lieu du taux proportionnel, note Oumar Koulibaly, fiscaliste. « Par exemple, 450 FG d’imposition était appliquée par bouteille ou boîte supérieure à 50 cl, contre 300 FG par bouteille ou boîte jusqu’à 50 cl ».

A ce jour, la Guinée ne compte qu’une seule brasserie : la Société des brasseries de Guinée (Sobragui) du groupe français Castel-BGI. Nos sollicitations multiples auprès de la Sobragui et d’autres importateurs de cigarettes n’ont pas trouvé d’écho. « Si vous mettez sur la balance toutes les taxes payées par toutes les industries du pays et de l’autre celles payées par la Sobragui, celles-ci pèseraient plus lourd », confie un fonctionnaire de la Direction nationale des impôts. Les brasseurs ne verraient pas d’un bon œil l’augmentation des taxes sur la bière. Un sujet sensible, les autorités sont enclines à manier la carotte et le bâton pour ne pas fâcher outre-mesure ce grand client du fisc guinéen. Et comment ?   

Diawo Labboyah

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