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La Guinée doit-elle vraiment être une famille ?

S’il existe des similitudes incontestables entre famille et République, il y a en revanche d’énormes disparités qui justifient l’impertinence de l’usage de l’une à la place de l’autre. Les similitudes peuvent concerner par exemple la hiérarchie, l’ordre et dans une certaine mesure l’alternance de leurs dépositaires. Cependant, la transparence, la démocratie ou même le contrepouvoir ne sont valables que dans le cadre républicain à l’exclusion de la famille.  Mais pour plus de clarté dans la distinction entre deux termes dont la sémantiqueest naturellement antagoniste, revenons sur la notion de famille, puis celle de la république, avant de conclure par la pertinence ou pas de leurs usages abusif et alternatif.

1- La notion de famille

La définition classique considère la famille comme des personnes ayant un lien de parenté et vivant sous le même toit. Elle est traditionnellement constituée d’un père, d’une mère et des enfants. Par extension métaphorique parle-t-on de famille politique, famille sportive, famille associative, famille scalaire ou universitaire, pour désigner le lien fort entre un groupe donné. Cependant, sans rentrer dans une interminable distinction entre ces différents types de familles, il serait plus pertinent de se concentrer sur la description consacrée par le code civil guinéen. Ainsi l’article 375 du projet de réforme de celui-ci souligne que « tous les enfants dont la filiation est légalement établie ont les mêmes droits et les mêmes devoirs dans leurs rapports avec leurs père et mère ». La question des droits et devoirs soulevée par cet alinéa est particulièrement intéressante pour la démonstration qu’on entend souligner. Quand bien même l’article 324 de l’ancien code indique que « le mari est le chef de famille », il est bien des cas où cette autorité est incarnée par la femme ou un autre membre de la famille. Raison pour laquelle cette formulation a disparu dans le projet de loi de 2016. Contrairement au fonctionnement des institutions républicaines, la hiérarchie dans la famille est naturelle, factuelle et parfois circonstancielle et ne résulte d’aucun mandat électif. Ainsi pour maintenir l’ordre en son sein, le chef de famille recourt à des ordres qu’il il n’a pas nécessairement à fonder. L’obéissance y est quasi systématiquement et aussitôt due.

Dans la même perspective, la gestion des ressources familiales est aussi dans la majorité des cas assurée par ce chef de famille. C’est souvent d’ailleurs de là qu’il tire sa légitimité. De ce fait, la notion de transparence dans cette gestion est dérisoire si non inexistante. Rien n’oblige un chef de famille de s’expliquer sur l’utilisation de ces ressources dans une réunion familiale au motif que le cadet aimerait y voir plus clair.

Partant, si l’idéal que lorgne l’usage de l’expression « la Guinée est une famille » reste noble dans le sens fraternel du terme, toutes ces singularités susmentionnées dénotent son impertinence dans le cadre institutionnel dès lors que la Guinée n’est pas une famille, elle est une République. Le fonctionnement normal d’une république est aux antipodes de celui de la famille et c’est tant mieux.

2- La notion de république
La notion de république est intrinsèquement liée à la théorie de séparation des pouvoirs imaginée par Charles Louis de Secondat, qui indique que tout homme ayant le pouvoir est dispoà en abuser et de ce fait qu’il va de la disposition naturelle des choses que le pouvoir arrête le pouvoir. La Guinée, en indiquant dans le préambule et dans l’article premier de sa Constitution qu’elle « est une République unitaire, indivisible, laïque, démocratique et sociale », a définitivement entériné ce choix. Il est donc de la responsabilité de chacun, qu’il soit citoyen ordinaire oudépositaire de l’autorité étatique, de veiller à son respect scrupuleux.

L’existence d’institutions républicaines partagées entre l’exécutif, le judiciaire et le législatif procède de cette volonté. Comme partout ailleurs, l’exécutif est assez fort et donc il lui faut des contrepouvoirs capables d’aider à l’équilibre de la société. Ainsi, un chef de gouvernement peut être appelé à exposer la politique générale devant l’Assemblée nationale et est assujetti à la motion de censure. La Cour de comptes peut exiger une transparence dans la gestion et l’utilisation du budget de l’Etat. La Cour suprême juge en dernier ressort et veille au respect des règles juridiques. La Cour constitutionnelle vérifie que les règles se conforment à la Constitution. Tous ces aspects sont inimaginables dans une « institution familiale », par ce que l’Etat ne peut être, sans le concours des contrepouvoirs, un « bon père de famille ».

L’autre aspect déterminant dans la distinction entre l’institution étatique et l’institution familiale, c’est la démocratie : cette possibilité offerte aux citoyens de participer à la gestion du bien public et d’exiger des comptes aux gouvernants. Heureusement que la démocratie ne triomphe pas toujours dans la hiérarchie familiale. Le chef de famille décide et il en est ainsi. Quitte à offenser les plus petits qui n’auront pas encore compris que tout ne se discute pas en famille puisque le chef voit plus loin que les autres et que, chemin faisant, l’équilibre de celle-ci tient plus de son autorité que du contrepouvoir de ses enfants. Inimaginable dans la quête de l’équilibre républicain.

3- L’impertinence de l’usage alternatif des notions de « famille » et de « république »

La famille est certes une institution sociale mais son fonctionnement demeure foncièrement incompatible avec celui des institutions républicaines. De ce fait, sa transpositiondans la gestion étatique s’avère impertinente.

Même s’il est grand temps d’encourager une certaine « démocratie familiale » dans notre société, laquelle permettra sans doute aux jeunes de mieux assumer et argumenter leur point de vue en lieu et place de l’obéissance systématique, il faut souligner que l’opacité acceptable dans la gestion d’une famille est intolérable dans une république. Car cette opacité va à l’encontre de tout débat d’idées, gage de quintessence, et s’oppose à la gestion transparente des biens publics appartenant à la nation, contrairement aux biens familiaux appartenant au « père de la famille » ; que ce dernier soit le papa, la maman, le grand frère ou quiconque d’autre.

La Guinée n’est pas une famille, elle doit être la République où les dirigeants rendent des comptes, où les citoyens respectent les lois, où les institutions n’ont d’identité que celle ancrée dans un fonctionnement républicain. Les institutions doivent être à l’abri de toute cooptation, de quelque nature que ce soit.

Toutefois, on peut tolérer l’usage de cette expression dans certains cas : culturel, associatif, « sanakouya » et tout ce qui a trait au raffermissement des liens sociaux. Il est en revanchestrictement à proscrire dans tout ce qui a trait à la gestion institutionnelle du pays. Cette expression doit arrêter d’être l’excuse d’une gestion inefficace pas plus qu’il ne doit continuer à cautionner l’absence de comptes rendus desdépositaires d’une fonction publique. Il est en outre inutile de préciser l’impertinence de l’expression sur le terrain de l’alternance démocratique.

Qui de l’ainé ou de la benjamine fera office de juge (judiciaire, administratif ou institutionnel) dans la famille comme cela est possible dans l’ossature étatique ?

                                                                                                                                   Une chronique de Hady Diallo, doctorant en droit économique à Paris, France pour Guineenews©

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