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«La majorité des pays qui ont eu leur indépendance ont du mal à voir l’argent pour se développer », dixit Omar Aziki CADTM-Maroc

Récemment, s’est tenue à Conakry, en Guinée, une rencontre sur les « dettes illégitimes », organisée par un mouvement international appelé ‘’Coalition pour l’Abolition des Dettes illégitimes’’. Pendant trois jours, les participants ont discuté sur le renforcement des synergies sud-sud face au système dette et pour la mise en place des alternatives.

A cette occasion, Guineenews s’est entretenu avec le représentant CADTM-Maroc (comité pour l’annulation des dettes du tiers monde, ndlr) du Maroc sur les objectifs de la rencontre de Conakry, l’impact de la dette, le développement et les alternatives proposées. Lisez l’entretien  avec Oumar Aziki !

Guinéenews : vous êtes à Conakry dans le cadre de la sensibilisation sur les Dettes illégitimes et les alternatives. Dites-nous de quoi s’agit-il?

Oumar Aziki : on a essayé durant trois jours (6 au 8 novembre 2018, ndlr) de discuter  des dettes illégitimes et du système dette globale. On a discuté des différents constituants des dettes illégitimes à savoir les dettes publiques internes et externes. Mais aussi, les dettes privées illégitimes à savoir les dettes par microcrédit qui sont en train de se répandre dans la majorité des pays pauvres de la planète qui sont en Asie, en Amérique et en Afrique. L’aide aux étudiants aussi parce que même maintenant dans la majorité des pays du nord pour accéder à l’université -étant donné que la privatisation du secteur de l’enseignement a atteint des degrés importants- les étudiants s’endettent pour terminer leurs études. Cela constitue une dette importante qu’on considère comme des dettes illégitimes parce que c’est aux Etats et aux gouvernements d’assurer l’enseignement public gratuit aux citoyens.

On a aussi les dettes des familles expulsées de leurs logements en Espagne, aux Etats-Unis du moment là où la crise a éclaté  en 2007-2008 avec les ‘’Subprimes’’. Plusieurs familles ne pouvaient plus, avec la crise et le chômage, rembourser les dettes pour les logements. Les banques ont procédé à des expulsions de ces familles de leurs logements.  Donc, il y a de la mobilisation contre ces expulsions. On considère là aussi que ce sont des dettes illégitimes qu’il faut inclure dans notre mobilisation.

Il y a aussi les dettes des paysans avec toutes les ouvertures et les accords de libre-échange et le développement de l’agro-business dans la majorité des pays du Sud. On voit que la situation de la petite paysanne s’aggrave et elle ne peut plus concurrencer avec les grands agro-business. (…) Les paysans n’ont plus de revenus pour rembourser leurs dettes.  Il y a même un phénomène de suicide alarmant au sein des petits paysans. Nous prenons ainsi des dettes liées au système des dettes globales. On a essayé de les décortiquer ces derniers trois jours.

Guinéenews: pensez-vous que ces dettes illégitimes constituent un frein au développement des pays tiers-mondistes ?

Oumar Aziki : oui ! Nous avons tracé une petite histoire de comment s’est installé ce système ‘’dettes’’ depuis déjà la période coloniale. Les pays occidentaux et les pays industriels ont pillé nos pays et les ont colonisés par la force. Ils ont un système de pillage direct. Après les soi-disant indépendances après les années 50 et 60, le système de mécanisme de la dette est rentré aussi dans le système colonial. La majorité des pays qui ont eu leur indépendance ont du mal à voir l’argent pour se développer. Ils ont été pillés. Là, ils recourent encore une fois aux institutions internationales, aux Etats créanciers du Nord pour s’endetter. Là, il s’est avéré que les banques commerciales du Nord, -justement à cause de ce pillage- ont beaucoup de liquidités qu’ils ont prêtées aux pays du Sud avec des taux très bas. Mais, par la suite,  les taux d’intérêts ont été terriblement augmentés.

C’est ce qui a provoqué la crise de la dette dans les années 70. Il y avait aussi le programme d’ajustement structurel, les ouvertures qui ont accentué la dépendance structurelle des pays déjà héritée de la période coloniale. Cela s’est élargi avec les accords de libre-échange, l’ouverture totale des pays  en circulation libre des capitaux, la réappropriation des bénéfices des multinationales. Ce qui fait que le développement de nos pays est bloqué par tout ce système dette qui est mis en évidence.

Guinéenews : est-ce qu’au niveau du Comité d’abolition des dettes illégitimes, on connait la situation des dettes en Afrique et particulièrement en Afrique au Sud du Sahara ?

Oumar Aziki : oui ! On a notre réseau CADTI (comité d’abolition des dettes illégitimes, ndlr). Il y a aussi la coordination. Dans le réseau, il est organisé de façon à ce que dans chaque continent, il y a une coordination qui regroupe une quinzaine de pays. Il y a des organisations membres de différents pays en Afrique occidentale et en Afrique de l’Est. L’Afrique suit de près ce qui se passe au niveau de la dette dans ces différents pays et essaie de faire des analyses chaque fois qu’il y a un pays où il y a une information concernant la dette.

Guinéenews : aujourd’hui, quelles sont les alternatives que vous disposez pour l’abolition de ce que vous appelez ‘’dettes illégitimes’’ ?

Oumar Aziki : notre alternative pour les pays du Sud, concernant le système de dettes, c’est l’abolition. C’est notre mot d’ordre. Mais, notre méthodologie, c’est faire des audits de la dette. C’est-à-dire se poser la question où sont investies ces dettes après ces trente dernières années ? On s’est retrouvé avec des pays développés, pas d’éducation, pas de santé, pas d’infrastructures. On se demande où sont passées toutes ces dettes contractées et qu’on est en train de rembourser d’une manière chère.

Donc, nous nous disons qu’il faut faire un audit citoyen de la dette. Donc, la participation de la majorité des couches populaires victimes de ces politiques-là pour voir où ces dettes ont-elles été dépensées ? Pour voir –justement- les différentes catégories des dettes qui sont illégitimes, illégales, odieuses et insoutenables pour demander leur annulation. Cela n’est pas impossible parce qu’il y a plusieurs expériences dans l’histoire où des gouvernements des peuples ont réussi à annuler une partie ou la totalité de la dette publique. C’est une alternative que nous proposons pour sortir du sous-développement actuel de la majorité de nos pays.

Guinéenews : quels conseils avez-vous pour les dirigeants africains particulièrement ?

Oumar Aziki : nous n’avons pas de conseils à donner aux dirigeants africains parce qu’ils sont conseillés par la Banque Mondiale et les différentes institutions internationales et aussi au niveau des pays créanciers.  Nous essayons plutôt de rentrer en contact en donnant des conseils  et de faire des sensibilisations au niveau des populations.

Guinéenews : mais ce sont eux qui contractent ces dettes…

Oumar Aziki : ils les contractent parce que les populations ne savent pas. C’est pourquoi, aujourd’hui, nous disons qu’il faut voir comment ces dettes ont été contractées. Normalement, cela devrait être un débat public de comment aujourd’hui on pourrait s’endetter, quelles seront les conditions, quels seront les moyens et les mécanismes à mettre en place pour que ces dettes servent directement les populations. Mais déjà, nous sommes dans une situation où ces dettes nous étranglent.

Donc à ce niveau, ce sont les populations qui  ne comprennent pas, qui subissent quotidien  dans leur situation sociale et économique les effets de la dette. Mais, elles ne comprennent pas qu’il faut faire une mobilisation pour faire une pression sur nos gouvernants, sur nos régimes pour limiter les conséquences de la dette.

Puisqu’aujourd’hui, devant la gravité de la crise et devant le tarissement des ressources de l’Etat -parce qu’on donne beaucoup plus aux riches, en diminuant les impôts- ce qui démunie les revenus du budget  de l’Etat.  Donc, on en recourt un peu plus aux dettes. Donc, on essaie de créer un large mouvement de mobilisation populaire pour faire pression sur nos gouvernements pour qu’ils arrêtent ce recours à l’endettement tel qu’il s’effectue aujourd’hui.

Entretien réalisé par Amadou Kendessa Diallo pour Guineenews.org

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