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Loi de finances rectificative 2018, concession du port, cas OGP, ARPT, OGC : les vérités de Koni Kourouma (Interview)

« Les projections de la loi rectificative des finances ne collent pas à la réalité, il faut les corriger…»

Dans cette interview accordée à Guinéenews©, le député Holomo Koni Kourouma, en tant que spécialiste des questions de finances, président du PDDP (Parti des démocrates pour le développement de la patrie) et membre de la Commission économie finances de l’Assemblée nationale, passe en revue le projet de loi de finances rectificative 2018. Il se prononce également sur la concession du Port autonome de Conakry, la situation des régies financières de l’Etat et l’ajustement du prix du carburant par l’Etat guinéen.

Guinéenews© : monsieur Kourouma, vous êtes député, membre de la Commission économie finances du parlement, vous avez pratiquement connaissance du contenu de la loi de finances rectificative 2018. Quelle analyse faites-vous du volet recettes de cette loi qui vient d’être voté par le parlement ?

Holomo Koni Kourouma : comme vous le dites, nous venons de voter le volet recettes de la loi de finances rectificative 2018. Comme l’un de mes collègues parlementaires l’a dit, le projet de loi de finances rectificative, sous-entend que le gouvernement reconnaît qu’il n’avait pas fait les bonnes projections. Donc ses projections ne collent pas à la réalité, il faut les corriger. Par exemple, concernant le volet recettes que nous venons d’examiner, il y avait une prévision initiale de 18 537 milliards de francs guinéens en tout. Mais la prévision amendée est de 16 627 milliards de francs guinéens. Soit 1 909 milliards de baisse. C’est cette baisse qu’il fallait d’abord intégrer d’un point de vue des recettes. Cela veut dire que le gouvernement avait prévu d’avoir beaucoup plus d’argent et cet argent n’est pas au rendez-vous. Naturellement, qui dit baisse de recettes, dit baisse des dépenses. Parce que ce sont les recettes qui financent les dépenses. Sauf si le gouvernement s’endette davantage pour financer les dépenses. Mais dans ce cas précis, la solution sera un mélange des deux : un accroissement de l’endettement auprès de la Banque Centrale, mais aussi une baisse au niveau des dépenses qui touche presque l’ensemble des départements.

Guinéenews© : vous qui êtes spécialiste des questions de finances, qu’est-ce qui explique cette baisse des recettes cette année ?

Holomo Koni Kourouma : sur cette question, le gouvernement a donné certaines raisons qui, globalement, ne tiennent pas, à notre avis. Il y a une raison assez simple, c’est que le taux de croissance de 5,8% que le gouvernement avait prévu pour l’année 2018, n’est pas, à notre avis, tenable. Et de façon implicite, le gouvernement le reconnaît sans l’avouer publiquement. Parce que les recettes sont assises sur la richesse qui est produite en Guinée, globalement. L’essentiel des recettes, c’est la richesse qui est produite ou qui circule en Guinée. Si ces richesses diminuent, les recettes vont aussi baisser. Mais le gouvernement nous dit que les hypothèses macroéconomiques ont changé. Mais en même temps, ce même gouvernement revient pour dire qu’il maintient ces mêmes hypothèses macroéconomiques qui ont changé. Je vais vous donner un exemple assez simple du point de vue de la taxe sur la valeur ajoutée, globalement des taxes sur les biens et services, il y a une baisse assez drastique de l’ordre de 1 000 milliards de francs guinéens. Sur les 1 900 milliards de baisse globale des recettes, il y a 1 000 milliards qui proviennent des taxes des biens et services. Ces biens et services sont liés à la croissance. Par exemple la TVA (taxe sur la valeur ajoutée), est directement liée à la croissance. Surtout la TVA intérieure, parce que c’est la somme des TVA qui constituent ce qu’on appelle le produit intérieur brut. De façon schématique, il est difficile de dire que la TVA est en train de baisser et en même temps dire que la création de richesse ne baisse pas. Nous avons plus ou moins tous compris, comme un de mes collègues parlementaires a expliqué en des termes plus élogieux, que le gouvernement réalise qu’il sera très difficile d’atteindre les objectifs de croissance économique. Ce qui entraîne de facto, une baisse de tous les autres paramètres, à savoir les recettes tant au nouveau de la Douane qu’au niveau des impôts. Et je crois que les membres du gouvernement l’ont d’ailleurs expliqué, en disant que les grèves au début de l’année ont eu un impact sur l’activité économique. C’est une façon implicite de reconnaître qu’il y aura un problème avec le taux croissance.

Guinéenews© : le gouvernement a aussi évoqué l’ajustement du prix du carburant…

Holomo Koni Kourouma : effectivement, le gouvernement nous a parlé du réajustement du prix du carburant. Essentiellement, ce réajustement budgétaire n’est pas lié à celui du prix du carburant, dla mesure où le gouvernement n’a pas eu besoin de l’Assemblée nationale pour augmenter le prix du carburant. Ce n’est pas cette session qui a siégé sur l’augmentation du prix du carburant. C’est une mesure que le gouvernement avait déjà prise et pour laquelle il n’a pas besoin de l’approbation de l’Assemblée nationale. Je vais vous dire par exemple que dans la loi qui vient d’être votée, les recettes directement liées au carburant se chiffrent à 2 121 milliards de francs guinéens. C’est l’argent que l’Etat va gagner sur la vente du carburant. Ces recettes, c’est la taxe spéciale sur les produits pétroliers pour 703 milliards de francs guinéens,  la TVA sur les produits pétroliers pour 591 milliards GNF, les droits fiscaux d’importation sur les produits pétroliers pour 696 milliards GNF et d’autres petites taxes. Donc, de ce point de vue, il n’y a pas eu de changement considérable dans la mesure où l’Etat a augmenté le prix du carburant. Cela aussi bat en brèche l’argument du gouvernement qui dit qu’il était en train de subventionner le prix du carburant. Vous ne pouvez pas être en train de prendre plus 2 000 milliards dans un secteur et dire en même temps que vous subventionnez ce secteur. Donc, la contribution fiscale de ce secteur, c’est au moins 2 000 milliards. Parce que là, on n’est pas en train d’intégrer les impôts et les taxes sur les salaires que les sociétés pétrolières payent. C’est juste un certain nombre de taxes qui donnent les 2 121 milliards de francs guinéens.

Guinéenews© : des parlementaires dénoncent la faible contribution de certaines entités de l’Etat dont le port qui ne contribuent pas au budget de l’Etat. Qu’en dites-vous ?

Holomo Koni Kourouma : effectivement, le deuxième point qu’il est important de mentionner, et qui ressort du rapport, c’est que malgré les efforts de l’Assemblée nationale comme du ministère du Budget aussi, il y a encore des entités importantes au sein de l’Etat qui ne contribuent pas du tout au budget de l’Etat alors qu’elles devraient être train de le faire. C’est le cas par exemple du port autonome de Conakry. En même temps qu’on est en train de chercher à voir clair dans la concession de ce port, il faut aussi avoir le courage de dire que jusqu’ici ce port ne contribuait pas au budget de l’Etat. C’est une situation qui devrait changer dans la mesure où le port d’Abidjan est l’un des poumons de l’économie ivoirienne. Mais en Guinée, ce n’est pas le cas. Comme vous avez noté, nous allons profiter de cette session pour demander au gouvernement de nous transmettre le bon contrat lié à la concession du port aux Turcs. Il y a une version qui a circulé, on dit que ce n’est pas la bonne version. Je crois que pour mettre fin à toutes les spéculations, il serait important que le gouvernement prenne sa responsabilité pour mettre fin à la culture du « black-out », en rendant public ce contrat tout au moins en le mettant à la disposition de la représentation nationale qui le demande. A la suite de notre intervention, vous avez vu le président de la commission Transports, lui-même, réitérer cette même demande. Il est important qu’on voit clair dans  cette concession pour protéger, non seulement les intérêts des travailleurs guinéens et ceux de tous les usagers du port. C’est-à-dire les importateurs et exportateurs de marchandises, mais aussi pour protéger les intérêts de l’Etat en termes de recettes, de sécurité et en d’autres termes.

Guinéenews© : les députés ont aussi évoqué les cas de l’ARPT, de l’OGP et de l’OGC. Quel commentaire en faites-vous ?

Holomo Koni Kourouma : c’est vrai, parmi les entités dont la situation doit être clarifiée, il y a l’ARPT (autorité de régulation des postes et télécommunications). Elles sont nombreuses, il y a toute une liste. Le parlement, depuis deux ans, travaille là-dessus. Mais il y a de fortes résistances pour amener ces entités à contribuer au budget de l’Etat.

L’autre point important, c’est le cas de l’OGP (office guinéen de publicité). On pourrait ajouter à l’OGP, l’OGC (office guinéen des chargeurs). Mais le gouvernement a récemment dit que l’ancien directeur général de l’OGP s’était rendu coupable de détournements pour un montant dépassant 20 milliards de francs guinéens sur une durée de deux ans, si nos informations sont très bonnes. Donc cela veut dire qu’il y a beaucoup d’argent qui rentrent dans cette société et qui dépassent les charges d’exploitation.

Parce que pour que quelqu’un détourne cet argent, il faut que ce montant existe et qu’il ne soit pas alloué à quelque chose d’essentiel. Autrement, vous n’avez pas la possibilité de détourner. C’est quand il y a excès d’argent quelque part qu’on peut détourner. L’excès d’argent n’est autre que le bénéfice. Ça veut dire l’argent que l’Etat doit pouvoir récupérer. Parce que l’OGP est une entreprise étatique à cent pour cent. S’il y a des bénéfices qui ont été réalisés et qui ne sont pas investis, l’Etat doit les récupérer. Donc en même temps, nous avons été très surpris que le gouvernement nous dise qu’il y a eu plus de 20 milliards  détournés là-bas, en même temps que le gouvernement mette dans son projet de loi de finances rectificative que l’OGP ne doit payer à l’Etat qu’un milliard de franc guinéen. Nous disons deux choses, l’une. Soit on a accusé à tort monsieur Paul Moussa Diawara, l’ancien directeur alors qu’il n’y avait pas d’argent en excès des dépenses de l’OGP, donc qu’il n’y a pas eu de détournement. Dans ce cas, il abandonne le procès ou qu’il reconnaisse qu’effectivement il y a cet argent qui a existé. Si cela a existé en 2016 et 2017, il n’y a pas de raison qu’il n’existe pas en 2018 et 2019. Dans ce cas, il faut budgétiser cet argent. S’il est budgétisé, ça veut dire que l’Etat gagnerait au minimum un milliard sur l’année. Ce serait le strict minimum.

Guinéenews© : globalement, que peut-on retenir de la loi de finances rectificative 2018 ?

Holomo Koni Kourouma : globalement, sur le budget de l’Etat guinéen, on parle beaucoup de recettes. Mais les efforts les plus importants sont à faire au niveau du volet dépenses. Il est vrai que c’est à compter de cette semaine que ce volet doit être examiné, mais le budget de l’Etat guinéen est encore au niveau d’un budget par département sans qu’on ne sache quel est l’objectif assigné à ce département. Alors que la loi organique portant loi de finances qui devrait entrer en vigueur à partir du 1er janvier 2018 impose à l’Etat d’avoir un budget programme. Cela veut dire que puisque le gouvernement a un programme national de développement économique et social (PNDES), les allocations budgétaires devraient être directement liées aux objectifs du PNDES. Ce qui veut dire que si le gouvernement dit qu’il veut augmenter le taux brut de scolarisation de 10%, qu’il nous dise voilà les dépenses que je veux faire à cet effet. Ainsi, on aurait une meilleure lisibilité de l’utilité du budget. Mais tant que le budget consiste à une répartition mécanique d’argent entre les départements ministériels, son efficacité restera très limitée. Et par expérience, on sait que tout argent qui n’est pas alloué à un objectif précis est de l’argent susceptible d’être détourné. Et nous pensons qu’une meilleure façon de lutter contre les détournements au niveau du volet dépenses, c’est de s’assurer qu’à chaque dépense est assigné un objectif. Je crois que c’est quelque chose d’important sur lequel nous allons insister pendant l’examen du volet dépenses de la loi de finances rectificative. Nous savons que ce changement ne peut pas être fait à ce niveau, mais il y a le budget de l’année 2019 qui arrive. Et il faudra qu’on se batte pour que nous commencions à aller dans cette direction.

Interview réalisée par Guilana Fidel Mômou

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