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Route Coyah-Kouroussa en construction : c’en est fini du redoutable virage de lakharaya (virage de l’au-delà !)

Nous étions surpris quand, il y a quelques jours, au gré d’un voyage qui nous a conduit à Mamou, nous avons constaté que d’intenses travaux étaient entrain d’être effectués sur  la route nationale n0 1.

Le moins qu’on puisse dire, c’est que le projet de construction de la route Coyah-Kouroussa avance à grands pas. Ça et là, des bulldozers, des pelleteuses, des camions et nombreuses autres grosses machines évoluent jour et nuit sur un chantier en nette progression. On aperçoit ingénieurs et ouvriers, gilets réflectorisés sur le dos, affairés à la réalisation de cet ouvrage aux incidences socioéconomiques considérables pour le pays.

De prime abord, tout semble indiquer que le gros œuvre porte sur l’aménagement des ouvrages et la création des déviations. L’objectif étant d’améliorer le tracé originel qui, on le sait, date de  la  pénétration coloniale.

A cette époque, la mécanisation des travaux était encore balbutiante. Beaucoup de tâches s’exécutaient à la main ou avec des outils qu’aujourd’hui, on jugerait obsolètes ou archaïques.

Pour combler un tel handicap, on faisait recours à une importante main-d’œuvre réquisitionnée sous la contrainte. D’où les « travaux forcés » de triste mémoire, qui ont coûté la vie à grand nombre de nos aïeux auxquels nous devons la plupart des routes qui traversent notre pays.

A l’époque, les ingénieurs, à cause des moyens techniques très limités, voire dérisoires, à leur disposition, se voyaient dans l’obligation de modifier des tracés préalablement déterminés, face à certaines configurations de terrain. Ainsi, devaient-ils contourner les quelques obstacles majeurs qu’ils rencontraient en fonction du relief ou de la nature du sol. Cela explique sans doute la configuration de certains virages : très serrés, successifs, en épingle à cheveux et de certaines descentes ou remontées abruptes. Ils ne pouvaient pas, en ce moment, faire mieux que ça, placés qu’ils étaient devant des exigences de délais et des contraintes en termes de moyens.

Les travaux, pour l’essentiel, étaient manuels : pelles, pioches, brouettes, paniers, barres à mine, etc. C’était, nous dit-on, ce qu’on voyait le plus souvent (toutes les images d’archives de l’époque en font foi). Nous apprenons même que pour casser de gros blocs de granite, il fallait les chauffer au préalable, jusqu’à une certaine température. Ce que la dynamite, le marteau piqueur ou la pelleteuse de type Poclain, résout facilement aujourd’hui.

A présent, la donne a changé. Avec le développement technique et technologique, on peut dorénavant, affronter une montagne, réduire une remontée ou une descente, supprimer ou atténuer un virage, remblayer une dépression, construire un viaduc et même percer un tunnel. Que de progrès, l’homme a accompli dans l’amélioration de ses conditions d’existence, dans sa capacité à dompter la nature ! Si tant est que cela soit envisageable et possible. Voilà que dans ce cadre, les travaux en cours sur la route nationale n01 sont entrain de réduire considérablement les obstacles qui rendaient cette artère principale de notre pays, si longue et si dangereuse.

Mais, ce progrès que nous saluons chaleureusement vient bousculer quelques valeurs coutumières sinon culturelles qui vont peu à peu disparaître de la nouvelle configuration du terrain qui s’offre aujourd’hui à la vue. C’est avec une certaine pointe de regret que nous évoquons leur souvenir, souhaitant même qu’il reste ancré dans nos mémoires, du moins, en ce qu’il contient de positif.

Les populations rurales, dans leur grande inspiration, dans leur incomparable faculté d’adaptation aux ‘’fourmillements’’ du milieu ambiant, dans leur sens profond de l’à-propos et de l’appropriation des éléments et des événements vécus, avaient ciblé et attribué des toponymes à des lieux qui avaient marqué leur subconscient collectif pour des raisons diverses et variées.

Parfois ces dénominatifs dérivaient de la configuration du terrain, de sa dangerosité qui en faisait un lieu à la limite, hanté, suggérant une réduction de la vitesse ou d’une frange  précise d’usagers qui s’y était illustrée dans un sens dont l’évocation sert de rappel ou de pédagogie pour tous ceux qui y passent.

Ainsi citerons-nous, pour ne parler que de la route Coyah-Kindia-Mamou, quelques endroits à la toponymie susu comme Kombitidé dont nous avons déjà parlé, Khonyè maakolon (l’endroit inconnu de l’étranger, tournant fonctionnaire (lieu qui a piégé ou piège encore, de nombreux fonctionnaires considérés en général comme des conducteurs malhabiles) et Laakharaya (signifiant, l’au-delà).

En évoquant ces lieux, nous rendons hommage au lieutenant-colonel Amara IV Camara, aujourd’hui disparu. Un officier de gendarmerie compétent et exemplaire qui a longtemps été chef du service constat à Kindia. Il aimait bien son métier et n’a jamais voulu le changer, même quand son élévation au grade de lieutenant-colonel faisait de lui à l’époque, l’officier de constat le plus haut gradé de toute la corporation. Il appréciait beaucoup cette toponymie et la citait fréquemment avec la conviction de celui qui voulait alerter les autres, du piège que ces lieux-dits constituaient pour les  conducteurs imprudents.

Au demeurant, chaque contrée de notre pays a ces toponymes. On en rencontre dans toutes les régions et dans toutes nos langues nationales. Les répertorier permettrait sans doute, d’ouvrir la belle page cachée de l’histoire de notre réseau routier.

Mais, revenons plutôt à Laakharaya qui signifie littéralement l’au-delà ! Le mot dont la racine lakhara ou lakhira est partagée par toutes les langues du pays, à priori, choque sans être hérétique. Il est la résultante d’une somme de faits gravissimes qui, s’accumulant, ont donné naissance à un toponyme marquant la dangerosité du lieu. Cet endroit est situé ou pour mieux dire, était situé, dans la sous-préfecture de Linsan, plus précisément à Yombokhouré, un endroit des plus abrupts que nous ayons, sur tout le réseau routier national. Là, sur une dizaine de kilomètres, à flanc de montagne, nous avons une route qui serpente, descendant dangereusement ou montant difficilement, selon le sens de marche.

Tout le monde vous dira que franchir l’étape de Yombokhouré pour tout conducteur, est un véritable test d’aptitude. ‘’Chauffeur Coyah’’, s’abstenir à tout prix ! Beaucoup parmi ceux qui s’y hasardent la première fois, s’ils sont novices ou incompétents, rendent les clés après avoir bien observé les lieux, ou se font seconder par plus habile à la conduite ou plus familier de la zone.

C’est un peu comme à Lambarma, à Hélaya, à Hooré loubha, à Cogon, pour ne citer que ces endroits, parmi des centaines d’autres, disséminés sur le territoire national.

Laakharaya, dans le sens Linsan-Souguéta est le dernier virage à franchir quand on entreprend la longue descente de Yombokhouré. Il arrive que des conducteurs, surtout de camions ou de véhicules de transport en commun, négocient mal cette longue descente. Ils sont pressés, incompétents ou imprudents.  Ils abordent la forte déclivité avec une allure et un rapport de vitesse immodérés et surtout inadaptés. Et le long du chemin, ils perdent le contrôle de leur véhicule.  Les causes tiennent: de l’intense sollicitation du frein principal dû à la longue descente; l’inertie dû au poids qui pousse le véhicule à aller toujours plus vite et quelquefois, de la peur qui s’empare du conducteur.

Il négocie un, deux, trois virages, de plus en plus vite. Arrive alors le dernier, un virage à droite qu’il ne peut plus gérer. Et c’est la fin !

La force centrifuge le déporte sur la gauche et le voilà qui part tout droit à…Laakharaya, 27 mètres plus bas, dans le ravin!

Cet endroit profond et isolé est, ou était, une véritable hantise pour chauffeurs et passagers. Beaucoup de véhicules en provenance de l’intérieur du pays, notamment de la Haute-Guinée se sont renversés en ce lieu. Des personnages autant anonymes que célèbres y ont perdu la vie, dont un député de la législature sortante. Certains, dans des conditions atroces. Tel le cas d’un camion transportant du bois de menuiserie qui, en se renversant dans le ravin, a  projeté violemment son chargement vers l’avant, décapitant du coup tous les occupants de la cabine.

Bien d’autres cas tout autant violents et horribles nous restent en mémoire. Nous nous garderons bien de les narrer ici, au risque de heurter certaines âmes sensibles. Ce qui n’est pas toujours constructif pour tout le monde.

A l’évidence, ce lieu portait bien son nom aux résonances funestes : Laakharaya !

Faut-il s’en réjouir ou le regretter? Le nouveau tracé routier a relégué cet endroit lugubre aux oubliettes. Aujourd’hui, il n’en reste plus grand-chose et à la fin des travaux, rien dans l’environnement immédiat ne permettra de le situer. Nous-mêmes, quoique assez familier de la zone, avons eu  de la peine à cadrer notre appareil pour fixer, à temps opportun, sa configuration actuelle. Notre véhicule ne pouvait guère s’immobiliser, l’endroit étant en plein chantier. L’image recueillie est ainsi de qualité minima. Son seul avantage est de permettre de comparer les deux périodes: avant et après Laakharaya.

A ceux qui y ont perdu la vie, la santé ou des biens, nous dédions une pensée fidèle. Aux autres, nous souhaitons qu’ils comprennent que, de Laakharaya il sera toujours question sur le réseau routier national.

En effet, une route a beau être la meilleure de toutes, si elle est mal utilisée par le conducteur, elle peut conduire à cette destination que ce toponyme traduit si bien. N’y allons surtout pas et n’y conduisons pas autrui ! Bonne route à tous, pour toute la vie !

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